Qualifier les Chinois de « bridés
sournois » tous « peignés de gauche à droite avec du cirage
noir », du racisme ? Vous n’y pensez pas ? C’est une simple
« maladresse » foi de Jean-Claude Juncker. Et d’ailleurs, l’auteur de
cette saillie, le conservateur allemand Günther Oettinger, ci-devant
commissaire à l’économie numérique, s’est « excusé », ce qui prouve
« que ses propos n’ont pas traduit sa pensée », poursuit benoitement le
président de l’exécutif européen dans un entretien au quotidien belge francophone Le Soir (payant).
Bon d’accord, il s’en est aussi pris, entre
autres, au mariage gay, aux femmes qui ne sont dans les conseils
d’administrations des entreprises que grâce à la politique des quotas, à la
Wallonie, une « micro-région gouvernée par des communistes » qui a
osé retarder de trois jours la signature du CETA… « Je n’aurais pas dit ce
qu’il a dit, car il donne l’impression de ne pas aimer les Chinois, les homosexuels,
les Wallons et d’autres », explique Juncker : « j’ai particulièrement
été choqué par ce qu’il a dit au sujet des homosexuels » (les femmes et
les Chinois, c’est moins grave manifestement). « Un commissaire ne peut
pas tenir des propos pareil. Je lui ai dit qu’il devait s’excuser auprès de
ceux qui ont pu se sentir visés ». Notez le « pu ». Et ? Et
rien. Circulez, il n’y a rien à voir. Oettinger ne sera non seulement pas viré
(car on ne vire pas un commissaire allemand), mais il va être promu
vice-président de la Commission chargé du budget, un poste clef alors que vont
bientôt s’ouvrir les discussions sur les prochaines perspectives budgétaires.
On se demande dès lors quelles sont les
limites de l’acceptable pour Jean-Claude Juncker ? Qualifier les Israéliens de « youpins
cupides », les Congolais de « nègres voleurs », les Algériens de
« crouilles islamistes », les homosexuels de « folles dégénérées
» ou les femmes, de « connasses qui nous brisent les burnes », ça
passerait ? Où commence l’abjection qui appelle une sanction politique dans
l’esprit du président de la Commission ? Le racisme anti-chinois, le sexisme ou
le mépris à l’égard de la démocratie ne sont-ils pas l’exact contraire des
« valeurs européennes » que Jean-Claude Juncker prétend défendre ? Surtout
que Oettinger n’avait même pas l’excuse de s’exprimer dans un bar ou dans un
vestiaire : il donnait un discours en tant que commissaire européen devant
des patrons allemands. En clair, il incarnait son institution et l’Europe, il
engageait la parole de son institution.
Juncker blanchit donc plus vite que son ombre un
commissaire habitué de ce genre de propos. Mais comment s’en étonner, lui qui n’a
pas su condamner fermement l’embauche de José Manuel Durao Barroso par Goldman
Sachs, une condamnation sans aucun risque politique et qui aurait été tout
bénéfice pour son institution ? Il confirme ainsi que la Commission, et ça
n’est pas nouveau, a structurellement des difficultés à assumer un minimum de
responsabilité politique. On l’avait vu dès 1996, avec l’affaire de la vache
folle, où personne n’avait été sanctionné en dépit des graves manquements mis à
jour par une commission d’enquête du parlement européen. Et ce n’est que sous
la pression des eurodéputés que la Commission Santer avait finalement
démissionnée en 1999, faute d’avoir su virer à temps Édith Cresson, la
commissaire française impliquée dans une affaire d’emplois fictifs. Rien ne
change : Juncker voulait une Commission politique, elle reste désespérément
technocratique, incapable de sortir de sa bulle.
PS: lire ici le coup de gueule de Politico contre la com’ de la Commission.
N.B.: Ici, un autre papier consacré à cette affaire à rebondissement.