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Libération
TRIBUNE

Candidats pour 2017, faites-nous rêver !

Les prétendants à la présidentielle bataillent sur la remise en marche de l’économie comme si la France n’était qu’une entreprise parmi d’autres. Sans proposer de vision du monde.
publié le 20 novembre 2016 à 17h26

Il y a urgence. Nous marchons et ne savons où mènent nos pas. Nous sommes comme ce voyageur du Transsibérien qui, jour après jour, se lamente sur son siège. Intrigués, les passagers le questionnent, lui demandent s'ils peuvent l'aider. «Personne ne peut m'aider, sanglote l'inconnu, personne. - Mais pourquoi ?- Parce que, depuis une semaine déjà, je roule dans un train qui ne va pas dans la bonne direction !»

Depuis une semaine ? Pour nous, en France, depuis bien plus longtemps. Est-ce la faute du cheminot ou la nôtre ? Avons-nous essayé de tirer la sonnette d'alarme ? De changer de train ? De direction ? Mais pour aller où ? Vieille interrogation. Quo Vadis Domine ? Où vas-Tu, Seigneur ? Où allons-nous ? Où voulons-nous aller ? Voilà une question à poser aux candidats à la présidentielle.

Quant à nous, la seule réponse que nous ayons trouvée face à ces multiples questions est la «solution identitaire». Une solution qui se nourrit de la force émotionnelle des fantasmes du passé. Une solution qui peut gagner l’adhésion du peuple et qui, pour l’instant, nourrit la quête de pouvoir de certains. Un idéal identitaire exclut automatiquement ceux qui ne s’y identifient pas. Or, outre les minorités attachées à leur propre histoire et traditions, les juifs ou les Asiatiques, mais aussi les Bretons et les Alsaciens, il y a en France aujourd’hui plus de sept millions de musulmans. La plupart s’y sentent bien mais ni les Gaulois ni Jeanne d’Arc ne sont, à leurs yeux, des personnages familiers. Aussi deviennent-ils suspects, d’autant que des groupes, se réclamant de la même religion qu’eux, importent sur notre sol une violence aveugle qui ajoute aux peurs une peur.

Dans notre société unie par la peur, le télescopage entre ces deux figures de l’ennemi, extérieur et intérieur, donne à nos représentations imaginaires une charge proprement explosive, renforçant ainsi notre sentiment d’angoisse et de mort.

C’est ainsi que resurgit la théorie du complot. Théorie selon laquelle l’ennemi intérieur serait nourri par celui de l’extérieur. Et inversement. Dans les années 20-30, les juifs étaient cet ennemi intérieur et ils étaient soutenus à l’extérieur, selon les antisémites d’alors, par les bolcheviques. D’où l’idée du danger judéo-bolchevique sur lequel a prospéré le national-socialisme allemand.

Aujourd’hui en France, cet ennemi est devenu l’islam. Cet islam qui est au cœur des débats présidentiels. Et qui, dès à présent, renforce chez nous les extrêmes.

Or, entre la peur de l’ennemi et la peur de la violence qu’elle engendre, que faire ? A qui s’adresser ? Auprès de qui trouver le réconfort ? D’autant que notre société individualiste nous a coupé de l’autre. La réponse est aussi vieille que le monde : Dieu. Ce Dieu que, avec Nietzsche, nous avions cru mort, devient omniprésent. Tant dans l’espace privé que public. Ainsi le tag découvert sur le mur de Berlin au moment de sa destruction, qui affirmait «Nietzsche est mort» et qui était signé «Dieu», annonçant la fin des espoirs laïques de nos ancêtres, devint prophétique.

Et les candidats à la présidence de la République, que font-ils ? Ils bataillent entre eux. Dans chaque émission de télévision, ils réclament à leurs concurrents de préciser leurs programmes, leurs projets pour remettre l’économie française en marche. Comme si la France n’était qu’une entreprise parmi d’autres et non le rassemblement de près de 66 millions d’individus riche de sa diversité, comme le soulignait Fernand Braudel, et qui attend, outre le pain pour se nourrir, un rêve collectif. Une vision du monde. Car on oublie souvent que la France est dans le monde en mouvement. Et qu’elle y est, plus grande que la France, non pas grâce à ses présidents, quelles que fussent leurs qualités - hormis peut-être le général de Gaulle, à cause de circonstances particulières - mais grâce à Voltaire, à Montaigne, à Victor Hugo ou encore à Alexandre Dumas.

Curieusement, aucun de nos candidats ne parle de culture. Musique, peinture, cinéma, théâtre, littérature… Quelle place aura les arts dans leur vision de demain ?

Qu’ils nous parlent de la nature qui nous entoure, de voyages, de nanotechnologie… Enfin, et c’est pourtant l’essentiel, de la coexistence entre ces Français qui prient - qui le Seigneur, qui Adonaï, qui Allah - et même ceux qui ne prient guère. Qu’ils s’adressent à chacun d’eux. Les yeux dans les yeux. Bref, qu’ils nous fassent rêver !

Derniers ouvrages parus : Réconciliez-vous ! et Fatima. Les femmes de l'islam. Robert Laffont 2015.