Le 28 août
2016, François Fillon candidat à la primaire des Républicains a suggéré que la
colonisation française en Amérique, en Afrique et en Asie revenait à un « partage
de culture ». Évidemment, il s’agissait de se dédouaner de toute
responsabilité et de n’afficher aucune culpabilité. Encore une fois le discours
contre la repentance. Vu, entendu, lu et relu. Ressorti à
l’occasion de la victoire surprise de Fillon au premier tour de la primaire, ce
discours a connu son flot de dénonciations légitimes. La liste pourrait être
(très) longue mais Fillon ne s’embarrasse pas de la question de l’esclavage, de
la conquête militaire des colonies, du travail forcé, de la conscription, des
guerres de décolonisation… Quiconque ouvrirait un livre d’histoire ou se rendrait
dans une ancienne colonie française verrait bien les effets actuels de ce
« partage ». Il est certain que les descendants des colonisés mais aussi
les Guyanais, Martiniquais, Guadeloupéens, Canaques et toute la diaspora issue
de l’ancien empire colonial en France apprécieront.
On pourrait
montrer que la colonisation n’était vraiment pas un partage de culture avec une
simple analyse des
chiffres de scolarisation dans les colonies. On pourrait aussi constater
que l’image véhiculée par Fillon reprend un discours particulièrement développé
après la 2e guerre mondiale par les Européens afin de justifier leurs
investissements massifs dans l’empire colonial. La mémoire de cette période
coloniale tardive a ainsi tendance à occulter tout le reste de la période
coloniale. Seulement la
question n’est pas là. Fillon n’est pas étudiant en fac d’histoire et n’a pas
de partiel à rédiger sur les conséquences humaines, environnementales,
économiques, sociales et culturelles de la période coloniale française. Fillon est
un politicien qui tire sur la corde du nationalisme français la plus éculée.
Cette vision aussi vague qu’erronée du colonialisme français est un simple
instrument visant à s’attirer les votes d’un électorat désireux de ne pas
ternir l’image d’une certaine France.
Tout
argument basé sur des faits historiques ne peut pas convaincre quand un certain
sentiment national français, lui, rapporte des voix. Certains candidats de la
droite conservatrice voire extrême retireront même un certain plaisir à voir
des associations, des historiens, des journalistes et des politiciens souligner
l'incohérence de ce type de discours. Après tout, ceux qui votent aujourd'hui
ne vivent plus dans cet empire colonial. En bref, tout contradicteur perd son
temps et toute polémique bénéficie même à celui qui la déclenche.
C’est
pourquoi, la campagne présidentielle qui s’annonce va sans doute aucun
connaître d’autres élans nationalistes comme celui de Fillon. La France d’Astérix
a grand besoin de ce genre de débats faussement historiques et réellement
politiques. La verve nationaliste a largement plus de poids qu’une discussion
historique posée tant ce nationalisme sert à occuper le champ politique dans
l’espace mais aussi le temps. L’ancien ministre de l’éducation qu’est Fillon le
sait sûrement et il compte dessus.
Et pour
cause. Les politiciens ne sont pas les seuls à verser dans ce grand récit/roman
national. Les historiens ont eux aussi leur part de responsabilité. Que ce soit
Fernand Braudel avec L'identité de la France ou Pierre Nora et ses Lieux
de Mémoire, le cadre mental d'un citoyen français s'inscrit, pour certains
auteurs, forcément dans un territoire français bien défini. D'autres historiens
ont pourtant travaillé à examiner cette histoire postcoloniale
et les 30 dernières années ont connu un renouveau sur les conséquences de la
colonisation que ce soit dans les anciennes colonies ou en métropole. Ces
derniers auteurs peinent pourtant à être entendus.
Dans cette France
rêvée, tout revient à ce nationalisme banal théorisé par l'historien Michael Billig. Ce n'est plus
le nationalisme sanguinaire ou dévoyé de la première moitié du XXe siècle et de
Vichy en particulier. Il s'agit plutôt d'un nationalisme de tous les jours où toute
occasion est bonne pour afficher des drapeaux, chanter la Marseillaise ou
enchainer les cérémonies de commémoration. Le « partage des cultures »
de Fillon s'inscrit largement dans cette tendance qui transforme un discours
pseudo-historique en un simple message subliminal sur la grandeur de la France.
Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?