On attendait Hillary, et ce fut Trump. On apercevait Juppé, et voilà Fillon. Et dans six mois, on aura peut-être un duel Hollande, sauvé par la réévaluation de ses confidences incontrôlées, contre Copé que son autodérision aura remis en selle. Le Pen fille, elle, sera envoyée par le fond à cause de son nouveau statut de dédiabolique quand, aujourd’hui, la mésestimée menaçante a les faveurs.
Cette jivarisation de la moindre crête qui dépasse et ce guillotinage du favori le plus rikiki s'analyseraient comme une révolte dans l'isoloir du peuple souffrant de mille maux, comme une agressivité sans frein des classes plus du tout laborieuses mais très chômeuses, comme une sorte de décapitation de la capitale et de ses capiteux petits marquis médiatico-sondagiers par les bouseux de la rurbanité. Il y a sans doute du vrai dans cette théorie, mais cela tient aussi de la réassurance d'une haute sphère qui panique qu'on lui mette la misère et qu'on sape ses fondamentaux rationnels. Se sentant de la nique, les élites ressuscitent un ogre, plus marronnasse que brun-rouge qui sent l'ail et la transpiration, le blanc-manger et le white trash, mais aussi la tradition à Barbour et le goupillon assez balourd. Essayons de voir plutôt comment, au cœur de la société du spectacle, cet ogre est plus infantile et psychopathe, plus multiforme et réversible qu'idéologiquement déterminé.
La farce
Il y a une jubilation noire à dessouder le prévisible et l’évident, et surtout à s’y prendre au dernier moment. C’est une façon de bras d’honneur aux honorables correspondants de la raison raisonnable comme aux pompeux cornichons du politiquement bien pensé. Dans la composition de ce cocktail Molotov, il entre évidemment l’aquoibonisme des déçus des pouvoirs successifs, la bile aigre de ceux qui ont vu que le roi était nu et le puissant impotent, le fiel fétide de ceux qui pensent que demain ce sera vachement pire et que, tant qu’à faire, autant précipiter le désastre.
Mais il serait bon d’y ajouter les herbes hilarantes et les épices marchandes d’une époque d’autant plus ludique que la tragédie rôde au dehors, d’une nation narquoise qui passe son temps devant l’écran à ricaner et à troller, à moquer et à lancer des badbuzz. Quoi de plus marrant que de faire tomber de haut, et à l’instant fatal, les éminences qui s’y voient déjà. On commence par les laisser espérer. Ils en sont déjà à composer leurs cabinets ministériels. Ils planent sur la comète de leurs rêves d’architectes en BTP humain. Et badaboum, les voilà qui se retrouvent les quatre fers en l’air. Ah qu’est-ce qu’on rigole !
C'est guignol dans l'isoloir. C'est la mort subite pour qui espère. Les politiques deviennent les souffre-douleur de bébés diables qui les laissent parler tout leur soûl de réduction du nombre de fonctionnaires et d'augmentation du taux de TVA, avant de leur tirer le tapis sous les pieds. Avant de leur lancer : «Allez, bouge de là ! Et si ça peut te consoler, sache que celui qui prendra la suite ne perd rien pour attendre.»
La frappe
Il devient de plus en plus compliqué d’élucider le propos de l’électeur. On veut bien admettre que le peuple a toujours raison, sauf que sa versatilité fout le bourdon. La populace aux caprices de diva arracheuse de pattes de mouche n’a plus rien de constitué. La classe ouvrière a mis son paradis perdu en location sur Airbnb. Les ghettos balancent entre camping décolonial racialiste et diversité à la Macron-Juppé. Et il suffit que ce dernier laisse buller sa salive sur sa lèvre inférieure comme lors du dernier débat pour qu’aussitôt on y voie la bave aux lèvres qui lui manquait et qu’on l’accuse d’avoir la rage vieillarde.
Désormais, tout peut muter du tout au tout, et se métamorphoser en n’importe quoi. C’est comme si les majorités devenaient des nébuleuses qui se dispersent au premier souffle de vent et se recomposent inconsidérément. Ah, parlez-moi du temps où le vote était structuré comme un servage, où la doxa était vertébrée comme une colonne et où la préférence ne laissait pas parler son inconscient.
Que faire ? Les frappes électorales n’ont plus rien de chirurgical, surtout lors des scrutins à périmètre aléatoire comme pour la primaire ou les référendums locaux type Notre-Dame-des-Landes. Mais ces déflagrations sont erratiques et ne correspondent à aucun but de guerre. On pourrait envisager de dépersonnaliser la Constitution. Mais bon courage pour faire comprendre aux Français qu’il faut arrêter d’élire le président au suffrage universel. Ces royalistes coupeurs de tête aiment trop élever et abaisser, lécher et lyncher, et à une cadence de plus en plus accélérée. Comptez sur eux pour continuer à faire danser les candidats sur la scène du théâtre de leur cruauté. Et pour les obliger à marcher pieds nus sur les braises ardentes, avant de les doucher de leur pusillanimité élective.