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TRIBUNE

Michaël Foessel sur Hollande : «Le temps de l’abdication : le réel qui refait surface»

Pour le philosophe Michaël Foessel, les retraits de François Hollande et de Nicolas Sarkozy tiennent de la scène d’abdication dans «Richard II», de Shakespeare.
par Michaël Fœssel, Professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique
publié le 2 décembre 2016 à 20h06

«Quelques jours après Nicolas Sarkozy, François Hollande s’est retiré du jeu par un discours aux accents un peu dramatiques. Certes, la situation n’est pas exactement la même. Le premier a été battu, le second savait avec certitude qu’il allait l’être. L’un avait été président, l’autre l’est encore pour quelques mois. Mais dans les deux cas, le renoncement ressemble à une scène d’abdication. La plupart des Français ont jugé que ces deux hommes n’avaient pas su exercer le pouvoir : Sarkozy par autoritarisme, Hollande par absence d’autorité.

«Nombreux sont aussi ceux qui ont apprécié leur retrait, comme si le meilleur moyen de fendre la muraille était de déposer les armes. Ces discours d'abdication rappellent (la poésie en moins) Richard II de Shakespeare, lorsque le roi d'Angleterre du XIVe siècle est contraint de déposer sa couronne et son sceptre, les yeux pleins de larmes. Pour une fois, les spectateurs ont eu droit à l'aveu d'une faiblesse et à la reconnaissance d'un échec : je ne peux pas. Le corps de l'ancien président n'était plus agité par le désir de pouvoir, celui de l'actuel ne donnait plus l'impression que rien ne pouvait l'atteindre.

«Nous ne sommes plus au temps de la monarchie de droit divin : ces scènes de renoncement ne devraient plus étonner outre mesure. Et pourtant, elles étonnent, et parfois touchent le public. La vision du monde des communicants n’a pas intégré l’aveu de l’échec, elle n’admet que la mise en valeur des prétendants au pouvoir prêts à tout pour atteindre leur but. Pour une fois, le dispositif a déraillé et, quoi que l’on pense de Sarkozy ou de Hollande, il n’y a pas lieu de s’en plaindre. A force de storytelling enchanteur, on pensait n’avoir affaire qu’à des histoires dont la fin est connue d’avance (le succès) ou à des corps qui ne sont jamais fragiles. Le temps de l’abdication, c’est un peu de réel qui refait surface. D’où le fait que, même si on désapprouve complètement l’action de François Hollande, les réactions sarcastiques à son renoncement passent mal. Ceux qui restent prétendants continuent à exhiber leurs muscles plutôt que d’intégrer, pour leur propre avenir, la possibilité de l’échec du chef.»