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Libération
Chronique «Médiatiques»

François Fillon, Charline Vanhoenacker et la reine

Au soir de sa victoire à la primaire, le candidat LR aurait regardé la série «The Crown». L’impassibilité de la reine l’aurait-elle inspiré pour moucher Charline Vanhoenacker ?
publié le 4 décembre 2016 à 19h46

Ce qui lui aura manqué, entre autres, c’est cette sacrée «incarnation». François Hollande a, certes, échoué sur bien des points. Mais il n’a notamment jamais réussi à «incarner» la fonction présidentielle. Et «le» fameux livre est venu le confirmer : un président ne devrait pas ressembler à ça. Dans l’idéal, il devrait ressembler à un président. Et, à défaut, ressembler au moins à quelque chose.

Prenons Fillon. Il paraît que François Fillon, au soir de sa victoire, a regardé The Crown. Cette excellente série de Netflix raconte les premières années du règne d'Elizabeth II. Si elle est excellente, c'est notamment par la composition de Claire Foy, la comédienne qui interprète le rôle de la reine, dans l'expression de l'impassibilité naturelle de la souveraine. Impassibilité amusée, agacée, narquoise, incrédule, inquiète : on se régale de toute cette gamme d'impassibilités. On ne savait pas qu'il en existait tant.

On imagine Fillon regardant The Crown. Il vient de triompher à la primaire, où il était parti en outsider. Il est seul, dans le salon de son bel immeuble du VIIe arrondissement de Paris, entre le Champ-de-Mars et les Invalides, vastes espaces où s'ébattent dans les bacs à sable les mini-Fillon en vestes matelassées. S'ouvre devant lui le large boulevard qui mène à l'Elysée. On l'imagine s'entraînant, comme devant un miroir, à perfectionner son propre art de l'impassibilité, cette impassibilité qui, pour une part, lui conférant sa «posture présidentielle», a certainement fait son succès.

Le souverain ne doit pas seulement être impassible. Il doit arborer une impassibilité expressive. D’éminents commentateurs de droite expliquent que Fillon a marqué le point décisif le soir où, à la télévision, il a mouché l’humoriste de France 2 et France Inter Charline Vanhoenacker en expliquant, très courtoisement, après la prestation de la susdite qu’une telle séquence n’avait pas sa place dans une émission politique, par ailleurs de qualité. La vérité est plus subtile. Il ne l’a pas seulement mouchée. Il l’a ignorée. Il fallait voir Fillon tout au long de la prestation de Charline.

Elle plaisante sur la Sarthe, les rillettes et tout ça. Fillon, évidemment, ne rit pas (il est vrai que la chronique n’est pas très drôle). Il pense déjà à sa tirade, évidemment préparée à l’avance. Mais en même temps, il ne donne pas l’impression de s’interdire de rire. Il esquisse parfois un sourire. Ce n’est nullement du sectarisme ou de l’hostilité, c’est pire.

Fillon n'est hostile à personne. Il ne sera pas agressif envers les fonctionnaires dont il supprimera les postes, les nécessiteux qui supporteront l'augmentation de la TVA, les malades qui ne seront plus remboursés, les femmes qui persisteront à vouloir avorter contre ses «convictions personnelles», exactement comme la reine se doit de rester impassible face à toute incongruité politique, olfactive ou sonore. Quand il ira rigoler avec Poutine, il ne manifestera aucune hostilité envers les réfugiés d'Alep.

Avant de l'exécuter, il prend d'ailleurs soin de préciser qu'il «aime beaucoup Charline». Et pourquoi ne croirait-on pas à la longanimité du souverain ? Fillon n'exclut personne. On sent qu'il serait possible, humainement possible, de le faire rire un jour. Même une femme. Même de gauche. Simplement, un coupe-circuit, quelque part, l'empêche de rire devant une femme exprimant la quintessence de l'audiovisuel public (vu par Fillon), c'est-à-dire favorable à l'IVG et au mariage pour tous. Quelque chose de génétique. D'indépendant de sa volonté. Comme s'il ne la voyait pas, ne l'entendait pas vraiment, ou à travers un brouillard, comme si elle s'exprimait dans une langue vaguement étrangère.

Fillon n’exclut aucun de ces sujets. Simplement, si on ne ressemble pas à François Fillon, on se sent hors du champ de vision de François Fillon. Il ne voit que ses semblables, ceux qui sentent bon le château, la garden-party, le mariage en blanc, le gâteau du dimanche, les plats du terroir, les collectivités territoriales de l’Ouest, les conciliabules dans les vestibules, les silences de Solesmes, les circuits de Formule 1, la compassion bienveillante envers les pauvres, du moment qu’ils restent à leur place, à la sortie de la messe. Et la solidarité, bien entendu, pour les misères du monde, simplement limitée aux chrétiens d’Orient. Cela s’appelle la droite, la vraie, la profonde, l’authentique, et on avait simplement perdu l’habitude depuis Pompidou.