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Tribune

Renoncer au pouvoir, un geste démocratique

La décision de François Hollande donne à réfléchir sur la fragilité des dirigeants dans les régimes occidentaux, leur dépendance aux courbes de popularité et le dévoiement du rôle du chef de l’Etat dans la Constitution française.
François Hollande, lors des commémorations du 13 Novembre, le mois dernier, à Paris. (photo Marc Chaumeil)
publié le 6 décembre 2016 à 17h26

Le renoncement du chef de l'Etat a créé une certaine stupeur, qui serait elle-même à interpréter : nous sommes enclins à penser que l'homo politicus est prêt à tenter l'aventure du pouvoir à tout prix, quelles que soient les probabilités d'échec et d'humiliation ; notre vision dégradée de la chose publique nous fait penser que les professionnels de la politique n'ont d'autre goût que celui du pouvoir pour le pouvoir. Or, comme le notait Paul Ricœur dans la Mémoire, l'Histoire, l'Oubli, le politique est parfois un lieu où des «gestes» sont possibles dont la portée est autre que la simple lutte «machiavélienne» pour le pouvoir. La décision de Hollande lui a conféré une certaine dignité : il n'ira pas à tout prix. (On se souvient que son premier mentor, Jacques Delors, ne s'est pas présenté à une présidentielle où on le donnait gagnant parce qu'il estimait qu'il ne pourrait réaliser les réformes qui lui semblaient nécessaires. Autre configuration, mais où l'on vit déjà tantôt le signe d'une insuffisante détermination politique, tantôt celui d'une éthique de responsabilité devenue assez rare en politique). Mais le geste du Président pourrait-il avoir une plus grande portée politique ? Sur trois dimensions, en tout cas, il donne à penser.

Sur le «type de chefs». Ce retrait pourrait prêter à une méditation inquiète sur le contraste redoutable que présente aujourd'hui le monde occidental : les leaders «populaires» semblent être les dirigeants autoritaires, identitaires, de Poutine à Orbán en passant par Trump, tandis que les «faibles» dirigeants démocratiques perdent les référendums qu'ils lancent (mal), démissionnent ou renoncent. Marine Le Pen en conclut que l'avenir est aux chefs autoritaires et xénophobes ; mais ces triomphes sont aussi des trompe-l'œil, et l'idée d'une vague néopopuliste de droite, si elle correspond à un mouvement réel, n'en déclare le succès irrésistible qu'en occultant une part des choses : que vaut, à l'Est, une «popularité» obtenue en bâillonnant les opposants et en détruisant les journaux d'opposition ? Trump a-t-il «triomphé» au plan du vote populaire ? Le candidat de l'extrême droite autrichienne l'a-t-il emporté ? Non, rien n'est joué, et il faut éviter de nourrir le storytelling d'une irrépressible aspiration des peuples à l'autoritarisme et à la xénophobie. Le renoncement de Hollande rappelle ici qu'en démocratie, la popularité du dirigeant dépend d'une opinion publique qu'il ne maîtrise pas, et cette «fragilité» est le signe même de l'autorité démocratique. La possibilité de l'échec est bien inscrite dans sa structure, tandis que les pouvoirs autoritaires organisent son déni. (Notons que cette gauche qui accable Hollande, non sans raison, mais tresse dans le même temps des couronnes à Castro, semble traduire par là une étrange compréhension de l'autorité démocratique, où affleure une autre indulgence pour l'autoritarisme - «de gauche»). Certes, cela ne signifie pas que tout président devrait être impopulaire !

Sur l'impopularité. Hollande n'a pas su incarner une opposition raisonnée au néolibéralisme et à ses ravages sociaux, une voie alternative à l'austérité. Il a déçu ses électeurs par une politique économique qui semblait tourner le dos à ses promesses de campagne et par des projets législatifs absurdes, comme celui de constitutionnaliser l'état d'urgence ou de développer la déchéance de la nationalité. Il faut espérer que des dirigeants démocratiques sauront rencontrer les attentes de leurs peuples en matière de protection par l'Etat sans recourir aux recettes du néopopulisme de droite.

Sur la Ve République. Quelles leçons tirer de l'improbable figure du «président normal» ? Etait-elle incompatible avec la Constitution de la Ve République, tant la fonction semble convoquer les attributs de l'exception ? Sans doute, mais on peut avancer une autre hypothèse : le sens même de l'organisation des pouvoirs dessinée par cette Constitution a été obscurci et, en dépit des apparences, Hollande a persisté dans les confusions de «l'hyperprésidence» Sarkozy sur ce point. Jusque dans son dernier discours, les avancées et les lois furent présentées sur le mode «j'ai fait ceci», «j'ai fait cela». Là où il est constitutionnellement prévu que le gouvernement - dont le Premier ministre «dirige l'action» (art. 21) - «détermine et conduit la politique de la nation» (art. 20) et que le Parlement «vote la loi» (art. 24), le Président se présente aujourd'hui en source de toute action et de toute loi. Point focal d'attentes démesurées, il devient rapidement celui d'attaques hystériques. Il faut redessiner clairement les périmètres d'action respectifs. Au vu du combat d'ego présidentialiste de cette précampagne, on n'en prend malheureusement pas le chemin.