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Tribune

Président Trump, chef de la Guilde des marchands

L'équipe gouvernementale que dessine le président élu des Etats-Unis s'inscrit dans la continuité des thèmes majeurs de sa campagne : la prise de risque, l’émancipation et la liberté par l’argent.
Donald Trump dans le hall de la Trump Tower à New York le 6 décembre.  (Photo Hilary Swift. NYT. Redux.Rea)
par Isabelle Barth, professeure et chercheuse en management à l'EM Strasbourg
publié le 13 décembre 2016 à 16h01

Dans quelques semaines, le Donald Trump deviendra le 45e président des Etats-Unis et commencera à exercer le pouvoir avec son équipe gouvernementale. Or, la constitution de ce gouvernement est pour le moins atypique, on a parlé de «club des milliardaires» ! Qui sont les futurs hommes clés des Etats-Unis ? Des hommes surtout, assez âgés, blancs et venant du monde des affaires. Des hommes et quelques femmes qui incarnent la réussite et le pouvoir par l'argent, avec des personnalités très affirmées, voire clivantes !

Rappelons-nous que le candidat Trump avait pour slogan «Make America great again» et qu'il incarnait lui-même cette possibilité de renouveau. Malgré son immense fortune – même si le montant reste discuté –, il a su être en résonance avec les attentes d'une population se sentant déclassée, sur la base d'un story telling dont les mots-clés étaient : effort, travail, réussite, argent, pouvoir. Ce qu'il avait fait de ses mains, tout le monde pouvait le faire ! Ou comment incarner le mythe du «self-made-man» américain.

Le candidat Trump sentait la poussière du Wild West et se comportait comme un pionnier. Son leadership était celui d'un bad boy, ne craignant rien ni personne, ayant une confiance en soi irrésistible. Les Américains ont voté pour cette figure qui allait enfin faire exploser l'establishment politique. C'est autant pour une figure hors du commun que contre le pouvoir politique en place que les voix du peuple se sont portées sur Trump.

A bas le pouvoir du «système», vive le pouvoir par l’argent

«Le président Trump» doit maintenant payer ses dettes envers ceux qui l’ont soutenu. Il doit aussi tenir les promesses qu’il a pu faire pendant la campagne de Donald, le candidat. Peut-être pas toutes, certes ! Mais il doit donner une image globale qui laisse penser qu’il agit comme il s’y était engagé !

Le gouvernement qu'il dessine est bien en phase avec ses deux grands messages : des personnes hors establishment politique, et des incarnations de la réussite par l'argent et les affaires. Tous affichent une réussite décomplexée, et assument sans états d'âme les chemins qui les y ont conduits, au grand effarement des défenseurs de l'environnement, de la promotion des femmes, ou encore des syndicats de travailleurs.

Si on gratte la croûte du tableau tel qu'il est en train d'être peint, on trouve un hiérarque qui forme une «Guilde des marchands», comme il y en avait au Moyen Age. Cette association aux codes et aux hiérarchies bien en place et dont le but est le développement du commerce pour le profit de tous, et de chacun.

Donald Trump est en train de constituer une Guilde dont il sera le chef suprême. De nouveaux codes vont se mettre en place, ceux du «Monde marchand» (1) : un monde qui se fonde sur les échanges, le pragmatisme, loin de tout idéalisme. Ses récentes mises en question de la diplomatie avec la Chine en sont une première illustration, car le marchand continue à commercer même avec des pays en guerre.

Aucun reniement donc, au contraire une continuité assumée, puisqu’on retrouve dans le monde marchand les mêmes thèmes fondateurs que ceux portés par Trump pendant sa campagne : la prise de risque, l’émancipation et la liberté par l’argent.

Nous assistons clairement à la prise de pouvoir du monde marchand sur le monde politique. Reste à espérer qu'à l'instar des grands marchands de Venise, ce gouvernement saura se doter de la «virtù», cette valeur qui mêlait excellence, courage, fierté, honneur et générosité. Ce qui reste à démontrer.

(1) Tel que décrit entre autres, par Luc Boltanski et Laurent Thévenot dans leur ouvrage, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991