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Libération
Critique

Réécrire un récit national

Au lieu de centrer le récit sur l’identité supposée «unique», François Dubet propose dans «Ce qui nous unit» de reprendre une histoire multiple, soucieuse des différences.

Publié le 13/12/2016 à 17h06

Rêve d'indivisibilité nationale brisé et sens du collectif en deuil. A la veille d'une nouvelle élection présidentielle, la France semble connaître un délitement de son tissu supposé rassembler ses citoyens, entre fractures sociale et géographique, inégalités et discriminations en tout genre. Dans Ce qui nous unit  (Seuil), François Dubet, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), invite à réparer cette désunion provoquée, selon lui, par l'effondrement de la représentation de ce qui constitue notre conscience commune, avec, au centre, le trouble identitaire.

Car si la question de l’identité est devenue centrale, c’est parce que les cadres qui faisaient que la vie collective était auparavant cohérente n’existent plus.

Le travail, autrefois pilier du socle commun national, s'est fortement internationalisé. En réaction à la perte de tels repères, les groupes «majoritaires» développent un traumatisme qui se traduit par des pratiques discriminatoires à l'encontre des minorités.

Quand ces comportements inéquitables provoquent chez certains un renforcement du désir d’égalité pour intégrer la majorité, chez d’autres, au contraire, il en résulte la production d’une identité protectrice où la cause du stigmate - origine familiale ou ethnique, orientation sexuelle, genre, etc. - est exacerbée, alimentant un effet de communautarisme.

Ces groupes «minoritaires» expriment des revendications face auxquelles la majorité panique. «Reconnaître une identité minoritaire et singulière comme également respectable suppose de revisiter son propre récit identitaire et de se concevoir soi-même comme une "minorité".» L'auteur de Ce qui nous unit fustige la discrimination positive «à la française» comme unique réponse de l'action publique. Ce dispositif entre en tension avec notre conception universaliste de la justice sociale qui exige que les règles soient les mêmes pour tous. «Nous ne parvenons pas à fonder la philosophie politique qui pourrait justifier une discrimination positive hardie et efficace, mais largement contradictoire avec ce que l'on désigne, par commodité, comme le "modèle républicain", d'indifférence aux différences

La discrimination positive s’avère d’autant plus inefficace que le sociologue démontre, études à l’appui, qu’en réalité, la plupart des personnes discriminées sont hostiles à de telles politiques car elles refusent très souvent d’être ciblées.

Dès lors, comment sortir de cette impasse ? Accaparé par les identitaires et les nationalistes, le thème de la nation embarrasse la gauche. A rebours des discours de retour des Trente Glorieuses fantasmés par la droite, François Dubet préconise de renverser notre façon de raisonner et de s'interroger sur nos similitudes. «La seule manière d'échapper à cette contradiction est de construire un tiers définissant ce que nous avons en commun.»

En somme, écrire un autre récit national où la reconnaissance des uns n’est pas nécessairement vécue comme une menace pour les autres. Une conception de la nation où égalité et différences se concilient.