Guy Mollet, président du Conseil socialiste sous la IVe République, qui avait des idées discutables mais possédait un redoutable sens des formules, avait lancé un jour que la France avait «la droite la plus bête du monde». On peut se demander si notre pays n'a pas maintenant la gauche la plus bête du monde. La gauche française est en capilotade, dans la pire situation qu'elle ait connue depuis au moins sa déroute législative de 1993.
A l’époque, socialistes et apparentés, sortis avec 275 députés élus en 1988 n’étaient revenus qu’à 57, cinq ans plus tard. La gauche, toutes tendances confondues, ne rassemblait plus que le tiers des voix. Si l’on en croit les sondages, la voici retombée à cet étiage-là.
La gauche est divisée comme jamais avec sur une aile un Jean-Luc Mélenchon en candidat antisystème, vitupérant sans relâche le gouvernement réformiste et insultant François Hollande avec une imagination inépuisable et, sur l’autre aile, Emmanuel Macron, lancé dans une aventure personnelle atypique, insolite, presque à l’américaine, réussissant une percée théâtrale au détriment de la majorité de gauche.
Jean-Luc Mélenchon, le meilleur orateur actuel, est crédité de quelque 13 % des intentions de vote. Emmanuel Macron, le candidat le plus novateur, se voit attribué en moyenne quelque 15 % des voix. Entre les deux, il ne reste actuellement, toutes les voix de Macron ne venant pas de la gauche, qu’en gros 10 % pour le candidat qui sera choisi par la primaire socialiste. Ce n’est bien sûr qu’un moment, qu’une séquence, qu’une phase et les choses peuvent évoluer considérablement en janvier, notamment avec les débats à la télévision.
Il n’empêche : la gauche est en morceaux, et le PS entame aujourd’hui même sa primaire (clôture des candidatures) dans les pires conditions. François Hollande a dû renoncer à se présenter, le gouvernement n’a une espérance de vie que de cinq mois, et cette primaire s’annonce crépusculaire.
A droite, le mécanisme a permis dans la douleur mais efficacement de rassembler les forces derrière François Fillon. Nicolas Sarkozy abandonne le champ politique, Alain Juppé est rentré à Bordeaux. Le député de Paris n’est contesté que par Henri Guaino, belle plume esseulée, et par Michèle Alliot-Marie, conservatrice autoproclamée du mémorial gaulliste. François Fillon est seul.
A gauche, c’est, en revanche, le trop plein. Outre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron, on compte plusieurs petits candidats (trotskistes, écologiste, radical) qui grignoteront quelques voix. On recense surtout, au sein même de la primaire, une demi-douzaine de candidats. Tous n’obtiendront pas les parrainages nécessaires mais ceux qui semblent assurés de pouvoir y parvenir (Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Vincent Peillon) commencent bien mal leur campagne. Tout est en place pour que cette primaire devienne consternante.
Première erreur gigantesque, le débat s’organise autour du bilan du quinquennat et non pas autour des projets d’avenir. A droite, on comparait des objectifs (évidemment contestables) ; à gauche, on ressasse des contentieux, (inévitablement détestables). Les frondeurs ont entravé et ont handicapé sans relâche le quinquennat de François Hollande. C’est cette logique morbide qui se perpétue à travers la primaire.
Arnaud Montebourg joue les procureurs sonores du quinquennat, Benoît Hamon plante des banderilles savamment cruelles, Vincent Peillon concentre ses coups sur Manuel Valls, défendant le chef de l’Etat pour mieux accabler son ex-Premier ministre. Celui-ci défend, avec courage et éloquence, le bilan de François Hollande… tout en marquant attentivement ses différences. On se déchire à propos du passé immédiat et on éclipse ainsi les rares propositions. C’est ce qui s’appelle une conduite d’échec. Barrer la route à Manuel Valls devient la priorité absolue. C’est la confrontation de stratégies négatives.
D’ailleurs, à écouter les discours des uns et des autres, à lire leurs interviews et à regarder la retransmission de leurs meetings, on voit bien qu’il n’est pas question de gagner mais de savoir à qui la défaite profitera. Qui sera le bénéficiaire individuel de la déroute collective ? Qui pourra, grâce à la campagne de la primaire, tenter une OPA sur le Parti socialiste exsangue ? Qui aura une chance d’incarner la reconstruction d’un parti dévasté ? Qui personnifiera le futur nouvel âge du socialisme ?
C’est une bataille d’apparatchiks ou de fantômes ligués contre le risque de voir émerger un jeune ancien Premier ministre en leader d’une famille estropiée, déchirée mais encore vivante. Une conjonction de narcissismes stériles ou d’ambitions médiocres, pour le seul bénéfice d’un rêveur hugolien ou d’un explorateur énigmatique. Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron peuvent les remercier.