Après le rejet de l’une des principales mesures de la proposition de loi relative au respect de l’animal en abattoir, la vidéosurveillance du poste d’abattage, nous sommes plusieurs organisations de protection animale à nous interroger : les députés veulent-ils vraiment changer les choses dans les abattoirs français ?
Pourtant très consensuelle, cette proposition de loi a en effet été quasi vidée de sa substance mercredi lors de son vote en Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. La disposition relative au contrôle vidéo, celle concernant les visites inopinées en abattoir ou encore un amendement qui étendait l’obligation de contrôle permanent du poste de mise à mort lorsque est pratiqué l’abattage sans étourdissement, ont toutes trois été rejetées. Elles étaient pourtant issues du travail de fond qui a été mené avec le plus grand sérieux durant plus de six mois par la Commission d’enquête parlementaire, et soutenues par les organisations de protection animale.
Les constatations dans certains abattoirs français laissent aujourd’hui peu de place au doute : le dernier rapport de l’Office alimentaire et vétérinaire (OAV, instance de contrôle européenne) sur l’évaluation du bien-être animal lors de l’abattage en France révèle d’importants manquements à la législation sur la protection des animaux lors de l’abattage. A cela s’ajoutent les images choquantes dans plusieurs abattoirs révélées par L214, où l’on constate de nombreuses infractions, certaines particulièrement graves relevant d’actes de cruauté. Ces infractions ne sont pas nouvelles, certaines avaient déjà été constatées par l’OAV en 2007, comme par d’autres associations depuis de nombreuses années. Il s’agit d’agissements généralisés qui perdurent, faisant la lumière sur des contrôles publics totalement insuffisants et inadaptés et l’absence de sanctions pénales prononcées à l’encontre des opérateurs.
Limiter les infractions
Nous considérons que la vidéosurveillance obligatoire au poste d'abattage est le moyen de répondre à un grand nombre de problématiques à l'origine d'infractions en abattoir en encourageant la vigilance, en prévenant les actes de maltraitance et en facilitant la formation pratique des opérateurs. Nous ne sommes pas seuls à le penser : le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, affirme ne pas y être opposé tout comme les responsables professionnels et les employés d'abattoirs mis en cause dans les scandales récents ! Ainsi, pour le directeur de l'abattoir du Pays de Soule, la vidéosurveillance est «la seule réponse».
Pour le président de la Communauté des communes du Pays Viganais, dont l'abattoir avait également été mis en cause et dans lequel un dispositif de vidéosurveillance va être installé «le personnel est favorable à l'installation de caméras de vidéosurveillance». Idem du côté de l'administration : Patrick Dehaumont, directeur général de l'Alimentation, a déclaré que la vidéosurveillance «présente un intérêt évident, car elle garantirait une surveillance, mais aussi une plus grande vigilance – on peut imaginer un effet "pédagogique" vis-à-vis des personnels qui se sauraient regardés». Et les citoyens ? Ils seraient à 85 % favorables à l'installation de caméras de vidéosurveillance dans les abattoirs.
Autre point essentiel qui était trop absent de cette proposition de loi mais qu’un amendement permettait de ne pas occulter : l’abattage sans étourdissement. L’amendement 43 proposait d’étendre l’obligation de contrôle permanent du poste de mise à mort pour tous les abattages réalisés sans étourdissement, ce qui, rappelons-le, n’est pas actuellement le cas. Il est en effet particulièrement justifié de contrôler le poste de mise à mort pour les abattages sans étourdissement afin de limiter au maximum la souffrance engendrée par l’absence d’étourdissement.
Un vote rétograde
Il est scientifiquement établi que l’abattage sans étourdissement pose de très sérieux problèmes de souffrance pour l’animal, comme le reconnaît un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui établit que les animaux non préalablement étourdis ressentent une souffrance extrême lors de la saignée et lorsqu’ils se vident de leur sang. Rendre obligatoire l’étourdissement en toutes circonstances est ce que nous souhaitons ; néanmoins, l’amendement 43 nous semblait une avancée dans le bon sens.
Par ce vote rétrograde, les députés qui ont fait blocage ont montré bien peu de courage si ce n’est leur volonté de ne surtout rien changer. A quelques mois des élections pour leur renouvellement, est-ce le message qu’ils veulent vraiment envoyer aux citoyens ? A ceux-ci d’en juger… et d’interpeller les députés pour que le 12 janvier, lors du vote en plénière, ils soient nombreux à être sur les bancs et à déposer des amendements permettant de redonner du sens à ce texte.
Les signataires :
Léopoldine Charbonneaux, Directrice, CIWF France (Compassion In World Farming) Christophe Marie, Directeur Pôle Protection Animale, Fondation Brigitte Bardot Frédéric Freund, Directeur, Œuvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoirs (OABA) Pr Jean-Claude Nouët, Vice-président, La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) Caroline Brousseaud, Présidente, Association en Faveur de l'Abattage des Animaux dans la Dignité (AFAAD) David Chauvet, cofondateur, Association Droit des animaux.