En tant qu'habitants et parents du XVIIIe arrondissement, concernés par des mesures visant la mixité sociale dans les collèges, nous sommes témoins d'une médiatisation caricaturale du débat soulevé par l'expérimentation «multi-collèges». En effet, depuis le 30 novembre, où a été divulgué le projet touchant les collèges Hector-Berlioz et Antoine-Coysevox, il n'est pas rare de lire que notre collectif mène une «fronde contre la mixité sociale» ou qu'il ne la veut que «chez les autres». Cette tribune nous offre l'occasion d'exposer la raison principale de notre résistance à ce dispositif : en l'état, il n'est pas un projet de mixité sociale.
Pour en rappeler le contexte, cette expérimentation a été hâtivement conçue pour la rentrée 2017 afin de répondre aux difficultés touchant des collèges publics parisiens. Les problèmes rencontrés au collège Berlioz exigent une réponse institutionnelle : la moitié des élèves vient de milieux défavorisés et son taux de réussite au brevet (49 % en 2015) en fait l'un des dix derniers collèges de France, dans le groupe D du classement de l'Etudiant. Cette année-là, les équipes éducatives y ont exercé leur droit de retrait pour «danger grave et imminent» après deux agressions de professeurs, déplorant à l'occasion un manque criant de moyens et de personnels. Quant au collège Coysevox, situé à moins d'un kilomètre, le constat semble plus positif, mais reste insatisfaisant : ses 80 % de réussite au brevet (groupe C du classement) le situent 7 points au-dessous de la moyenne de 2015. Il n'y a donc pas lieu de parler de «l'attractif collège Coysevox», ni d'un collège «bobo», expression toujours utile dans une rhétorique du dénigrement peu soucieuse de mener une véritable enquête.
En réalité, l’absence de mixité dans le collège Berlioz vient essentiellement des stratégies d’évitement des habitants s’alarmant de sa réputation. S’il y a un enclavement de populations en grande difficulté sociale dans ce quartier, les milieux plus favorisés y sont toutefois présents, mais délaissent cet établissement. Le collège Coysevox est, quant à lui, dans un équilibre fragile et récemment conquis : il est devenu socialement mixte, mais reste contourné par des parents inquiets de ses résultats médiocres. Or, début décembre, la communication maladroite des tenants du projet a encore aggravé cette situation, entraînant une forte augmentation des demandes d’inscription dans les collèges privés. La stigmatisation du collège Berlioz s’en trouve accrue, le déséquilibre est amorcé pour le collège Coysevox : l’écart se creuse entre la mixité réelle du quartier et la ségrégation des collèges publics.
Au fond, l'expérimentation actuelle se heurte à une objection massive : aucun des quatre collèges, privés et publics, les mieux lotis de l'arrondissement ne vient équilibrer le dispositif. Plus largement, «aucune des zones tests n'intègre les collèges les plus huppés de la capitale», rapporte le Monde. Ce à quoi le rectorat répond par l'argument obscur de «l'acceptabilité sociale». Mais est-il «socialement acceptable» que soient écartés des établissements parisiens qui n'intègrent que 1 % d'élèves issus de PCS [professions et catégories socioprofessionnelles] défavorisées (chômeurs, inactifs, ouvriers) ? Est-il réaliste d'afficher à l'horizon de cette fusion entre deux collèges un taux de 33 % prévu par la mairie (contre une moyenne parisienne à 16%), alors que bien des familles se tourneront vers le privé qui détient finalement l'arbitrage de la mixité ? Nulle réponse n'est apportée à ceux qui demandent pourquoi les collèges privés des alentours sont absents du dispositif : Saint-Vincent, Saint-Louis et Saint-Michel-des-Batignolles ont plus de 90 % de réussite au brevet. Ils recrutent des élèves très favorisés ou sélectionnent les meilleurs dossiers parmi les élèves d'origine modeste. L'article de Thomas Piketty publié dans le Monde en septembre proposait pourtant cette issue aux problèmes de ségrégation sociale sur le sol parisien : «En faisant rentrer les collèges publics et privés dans un même système d'affectation des élèves, il est possible de faire fortement progresser la mixité sociale au collège.»
C’est précisément ce dont nous sommes convaincus : car nous ne refusons aucunement l’idée d’intégrer les collèges Berlioz et Coysevox à une même expérimentation, à condition qu’elle soit multi-collèges et non bi-collèges, et qu’y participent également les établissements les plus privilégiés. Alors que l’Etat semble vouloir promouvoir la mixité sociale via la carte scolaire, il subventionne de fait son contournement en finançant massivement l’enseignement privé ; les salaires des enseignants y sont ainsi payés par nos impôts. Pourtant, en contrepartie de ce financement, des pays européens comme la Belgique et l’Espagne exigent le respect de règles de recrutement. Il n’y a donc pas d’autre obstacle à cette mesure qu’une frilosité politique qui fait offense à la justice sociale. Certains rétorquent qu’imposer des contraintes aux établissements privés risquerait, en France, de relancer la «guerre scolaire». Mais il faut prendre conscience de ce que cela implique : l’absence de courage politique reporte sur des familles, majoritairement issues des classes moyennes et respectant la carte scolaire, la responsabilité de résoudre un problème qui les dépasse.
Faute d'une mixité sociale réelle et en l'absence de toute innovation pédagogique, l'impact mécanique de la fusion entre ces deux collèges semble donc bien risqué pour l'avenir des enfants. Préférant caricaturer une demande de révision du projet, les représentants institutionnels jouent sur la culpabilité des acteurs locaux, effet plus facile à produire chez ceux qui sont soucieux de mixité que chez ceux qui valorisent l'entre-soi. Cela conduit surtout à renforcer des inquiétudes et des clivages dont le XVIIIe arrondissement n'a pas besoin, et qui contrastent avec le vivre ensemble auquel nous tenons, nous qui habitons ce quartier, sans désir d'en partir.
Signataires : associations des parents d'élèves de l'école primaire Joseph-de-Maistre, de l'école primaire du 65, rue Damrémont, de l'école primaire du 67, rue Damrémont ; Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) et Groupement indépendant de parents d'élèves (Gipe) du collège Antoine-Coysevox (Paris, XVIIIe).