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Libération
Chronique «Politiques»

Emmanuel Macron, candidat à l’américaine

Habile et redoutable, l’ancien ministre qui se présente comme antisystème fait salle comble. Un phénomène de simple mode ou de vrai changement ?
Paris, le 10 décembre 2016. Parc des expositions. Meeting de campagne d'Emmanuel Macron (centre), candidat à l'élection présidentielle de 2017 avec son mouvement "En marche !". (Photo Denis Allard. Réa pour Libération)
publié le 18 janvier 2017 à 18h46
(mis à jour le 18 janvier 2017 à 19h09)

C’est la première trajectoire à l’américaine au cœur d’une élection présidentielle française. La doctrine traditionnelle voulait qu’ici, pour pouvoir tenter réellement sa chance, un candidat devait avoir derrière lui une solide expérience électorale, une image déjà constituée, une idéologie bien définie et, par-dessus tout, un parti fidèle.

Contrairement aux Etats-Unis, il fallait donc avoir déjà longuement fait ses preuves pour compter : pas de jeune Barack Obama ou de transgressif Donald Trump sur le sol gaulois. Dans ce vieux pays, pas de nouvelle tête pour le sacre suprême. Des figurants inédits pouvaient, certes, se glisser dans le casting présidentiel mais aucun véritable prétendant qui soit un nouveau venu. Emmanuel Macron met en pièces cet antique canevas. Les critères ordinaires, il les piétine allègrement. Il n'a pas 40 ans, il n'appartient à aucune formation, il ne détient aucun mandat électif, son expérience politique se résume à deux années comme secrétaire général adjoint à la présidence de la République et deux ans comme ministre de l'Economie. A l'aune de la Ve République, un amateur et un débutant.

Or, le soufflé Macron ne retombe pas. Bien au contraire, le phénomène s’enracine, enfle, accélère et prend tout le monde de court. Dans les sondages de popularité, il prend la tête. Partout où il passe, il fait salle comble. Ses partisans se multiplient, les ralliements s’amoncellent. On dirait une mécanique plébiscitaire. On comprend pourquoi il intéresse Ségolène Royal : Emmanuel Macron incarne le défi de la démocratie d’opinion à la démocratie représentative. Il a des idées mais pas de programme, ce sera pour la phase suivante, c’est plus adroit ainsi. Il a des supporteurs mais pas d’alliances. Il ne se commet pas avec les partis en place. Il se présente en candidat antisystème, même s’il incarne parfaitement l’excellence des élites françaises. Il fait preuve d’une redoutable habileté pour éveiller la nostalgie de la gauche réformiste sans accabler le gouvernement sortant, pour séduire une fraction de l’électorat centriste sans négocier avec aucun appareil, pour attirer de jeunes libéraux sans hisser le drapeau de la rupture radicale. Le macronisme est une synthèse atypique, un pointillisme savant, un impressionnisme enjôleur. Il progresse grâce aux échecs des alternances précédentes, il attire parce qu’il est différent. Il dérange tout le monde. Ce n’est ni un favori ni un challenger mais, plus rare, un joker. Il n’a pas de véritable précédent.

Pour la gauche classique, c'est une calamité. Pour le centre, c'est une catastrophe. Pour la droite, c'est un péril. Pour l'extrême droite, c'est une provocation. Jean-Luc Mélenchon rêvait d'innover et de surprendre. Emmanuel Macron le vieillit subitement, le renvoie au XIXe siècle et le devance dans les sondages. Le Parti socialiste, privé de François Hollande, tente de rebondir avec sa primaire. Emmanuel Macron la vampirise littéralement, et creuse l'écart, alors que les 7 candidats s'échinent à se différencier mais s'affaiblissent en s'opposant. François Bayrou garde le mystère sur sa candidature. Emmanuel Macron a, de toute façon, terriblement réduit son espace et a préempté l'Europe. Quant à François Fillon, goguenard au départ, il regarde maintenant cet étrange compétiteur avec une attention perplexe. En tout cas, il fait charger ses lieutenants contre l'intrus, bien plus que contre les candidats socialistes, preuve qu'il le prend au sérieux. Marine Le Pen ricane et invective mais a bien conscience de ne plus incarner seule la rupture et la différence. Sur ce terrain, il y avait déjà Mélenchon, il y a maintenant Macron et même, à sa façon, Fillon. Cette élection présidentielle ne ressemble à aucune autre.

Emmanuel Macron y incarne la nouveauté. La question est de savoir s’il s’agit d’une simple mode ou d’un vrai changement. Jadis et naguère, chaque campagne a été marquée par l’émergence d’un candidat inattendu, qu’on baptisait rituellement «troisième homme», quel que soit son rang réel dans les enquêtes d’opinion. Certains faisaient rapidement long feu, d’autres pesaient jusqu’au bout. En 2002, Jean-Pierre Chevènement s’est envolé avant de retomber lourdement à 5 %. En 2007, François Bayrou a dépassé 18 % et a même atteint 20 % dans les sondages avant d’échouer sur le fil. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing s’est imposé face aux deux favoris théoriques, Jacques Chaban-Delmas et François Mitterrand. Emmanuel Macron n’entre dans aucun de ces scénarios. C’est un personnage virtuel qui devient réel. Enigmatique et redoutable, cannibale pour la gauche et le centre, dangereux pour la droite et l’extrême droite. Imprévisible. Comète assurément, astre éventuellement.