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Libération
Interview

W. Elliot Brownlee: «Trump aurait beaucoup à perdre dans une guerre avec le Congrès»

Interviewé par l’américaniste Romain Huret, l’historien souligne la confusion intellectuelle du nouvel hôte de la Maison Blanche. Il évoque aussi les risques de dumping fiscal mais tempère ses craintes par le contre-pouvoir détenu par le Congrès.
Le président élu Donald Trump sort sur le balcon du Congrès américain à Washington, le 10 novembre 2016 (Photo NICHOLAS KAMM. AFP)
publié le 24 janvier 2017 à 17h36

Professeur d’histoire à l’université de Californie Santa Barbara, W. Elliot Brownlee est un spécialiste reconnu de l’impôt et de l’économie aux Etats-Unis. Il est directeur d’études, invité à l’Ecole des hautes études en sciences sociales au mois de janvier (1).

Comment avez-vous vécu l’élection de Trump ?

Si j’avais été seul, j’aurais choisi Joe Biden pour président ! J’ai fait campagne pour Hillary Clinton en regrettant qu’elle n’ait pas davantage écouté les revendications entendues dans les réunions publiques de Bernie Sanders. Elle n’a pas non plus tenu compte des difficultés économiques de la classe moyenne. J’ai été inquiet tout au long de la campagne, mais je n’ai jamais pensé qu’elle allait perdre. La victoire de Trump a été une surprise, mais pas un choc. J’avais pressenti la force du mécontentement économique, et beaucoup de sondages indiquaient que la probabilité d’une victoire de Trump était envisageable.

Même s’il est possible de prévoir l’avenir, surtout avec Trump, pensez-vous que nous allons assister à un tournant majeur de la politique économique ?

La confusion intellectuelle de Trump et son «équipe», la transition désordonnée, sa popularité en baisse, la courte période qui nous sépare des élections de mi-mandat, tout cela laisse à penser que les changements majeurs sont déjà en cours ou sur le point de l’être au Congrès. Sous la houlette de son chef de file, Paul Ryan, la majorité républicaine va limiter et reformuler les programmes économiques du nouveau président. Si Trump a la possibilité d’utiliser son droit de veto, il va devoir négocier avec cette majorité pour imposer sa marque sur la politique économique du pays. Je crois que Trump réussira à obtenir du Congrès le financement de son programme d’infrastructures. Les élus républicains pourraient certes limiter ses ambitions afin de contrôler les dépenses publiques. Un autre point d’achoppement portera sans doute sur le commerce extérieur. La rhétorique antichinoise a été au cœur de la campagne. Mais une fois de plus, Trump va devoir trouver un terrain d’entente pour préserver les intérêts des élus (et de leurs électeurs) et ses promesses de campagne.

Et en matière de politique fiscale, un tournant est-il envisageable ?

Comme pour la politique économique, je pense que le rôle du Congrès sera décisif. Le programme fiscal de Trump a été très confus et contradictoire pendant la campagne. Il est possible néanmoins que les élus républicains s’entendent avec le Président sur des points importants comme la baisse des taux marginaux d’imposition pour les revenus les plus élevés ou l’augmentation des déductions et des exemptions. Ce dernier point est important pour Trump car il veut montrer qu’il s’adresse à la classe moyenne. Plus encore, il est persuadé que ces mesures serviront de levier pour stimuler la croissance économique. Il est possible que certains démocrates votent en faveur de ces mesures.

Beaucoup en Europe craignent les conséquences d’un dumping fiscal. Avec le Brexit, cela pourrait avoir des conséquences importantes pour les pays européens. Qu’en pensez-vous ?

C'est un sujet très complexe, mais fondamental. Trump et son équipe veulent abandonner l'impôt sur les sociétés et le remplacer par un impôt similaire à la TVA. Le montant d'imposition serait de 15 %. A l'heure actuelle, la mesure porte un nom barbare et difficilement traduisible (Destination-Based Cash-Flow Tax, DBCFT) et rien pour l'heure n'a encore été décidé. Paul Ryan et les élus qui forment le Ways and Means Committee du Congrès [la commission en charge de la politique fiscale, ndt] ont commencé à travailler sur ce point. Leurs arguments sont déjà bien rodés. Une telle réforme, nous disent-ils, permettra de limiter les pratiques fiscales des entreprises et de ramener les profits et la propriété intellectuelle aux Etats-Unis. Elle favorisera aussi l'investissement des entreprises et limitera le recours à la dette. Les républicains adorent cette mesure car elle correspond à leurs efforts anciens de passer d'une imposition des revenus à celle de la consommation. Le problème pour Paul Ryan est que Trump trouve la mesure trop compliquée à mettre en œuvre. Il est même possible qu'il ait déjà commencé à faire pression auprès des entreprises, notamment celles de la grande distribution comme Walmart. Comme je l'ai dit plus haut, Trump pourrait retoquer la mesure en utilisant son droit de veto. Mais si la guerre était déclarée entre Trump et le Congrès, le nouvel hôte de la Maison Blanche pourrait perdre beaucoup. En matière fiscale, sa crédibilité est faible : il refuse toujours de dévoiler sa feuille d'impôt, et tout le monde pense qu'il n'en paye pas. Il est donc possible qu'un terrain d'entente soit trouvé une fois encore entre Trump et les élus républicains sur cette réforme. Il ne fait aucun doute que dans ce cas, les conséquences seront importantes pour les pays européens. L'Angleterre et les Etats-Unis pourraient proposer des conditions plus attractives en matière de fiscalité pour les entreprises. Comment les pays européens vont-ils répondre à cette concurrence fiscale ? L'avenir le dira.

(1) Il interviendra notamment jeudi à 17 heures à l'EHESS, 105 bd Raspail (75006), dans le cadre du séminaire «Capitalisme et Inégalités aux Etats-Unis».