Tout livre sur le vaccin comprend un passage obligé. D'abord, dire et répéter qu'il est une merveilleuse découverte, assurément la plus grande victoire de la santé publique du XXe siècle. Ensuite ? Deux voies vous sont offertes. Soit commencer par prendre les arguments des «antivaccins» afin de montrer votre ouverture d'esprit, avant de les évacuer d'un revers de manche méprisant. Soit s'attarder un peu plus que d'ordinaire sur les effets secondaires d'un vaccin lambda et laisser planer quelques questions, mais vous risquez alors gros car vous serez vite catalogué antivaccin. Pour dire les choses simplement, ce n'est franchement pas un compliment, c'est même mille fois plus grave que si on vous avait pris la main dans les poches d'un grand labo qui vous avait offert de trop beaux cadeaux.
Ce jeu de rôle, parfois un peu lassant, se joue depuis une dizaine d’années en France, depuis que les politiques, comme le monde scientifique, se sont rendu compte, effarés, qu’il existait une méfiance grandissante face à l’invention de Pasteur. Un comble, voire une obscénité. Comment diable résister aux bienfaits du vaccin ? Et pourtant, des sondages, comme celui de l’Ipsos publié le 24 octobre, montrent qu’à peine plus d’un Français sur deux pense que les vaccins présentent plus de bénéfices que de risques.
Comment dès lors remonter la pente ? Récemment, la ministre de la Santé a demandé à un grand chercheur, le professeur Alain Fischer, pédiatre internationalement reconnu, de mener une concertation citoyenne. Résultat : un demi-fiasco, ce dernier n’ayant pu refréner sa gigantesque culture scientifique pour évacuer sans politesse les arguments de ceux qui s’interrogeaient. Créant gêne et malentendus. Il renvoyait ainsi l’image de la science, trop sûre d’elle-même, qui consentait tout juste à débattre.
En cette rentrée 2017, deux livres symbolisent bien l'ambiguïté du débat actuel. Deux livres écrits par des professeurs d'université praticiens hospitaliers, c'est-à-dire des représentants a priori parfaits de ce monde de la médecine. Philippe Sansonetti d'abord. Un intouchable. Professeur à l'Institut Pasteur et au Collège de France, il est «un spécialiste internationalement reconnu des vaccins», comme le rappelle la couverture de l'ouvrage.
Un «pasteurien», comme on dit. Son livre lui ressemble : Vaccins : pourquoi ils sont indispensables. Un livre prenant, en particulier quand il décrit le monde d'avant les vaccins, une époque où les maladies infectieuses faisaient des ravages. «En 1800, sur 1 000 petits Français nouveau-nés, plus de 300 mouraient dans leur première année ; en 1900, 150. De quoi mouraient ces nourrissons ? De maladies infectieuses, d'infections néonatales, de variole, de diphtérie, de tétanos, de diarrhée verte, de coqueluche, de rougeole, de scarlatine, etc. En 2012, toujours en France, sur 1 000 naissances on dénombrait trois décès. Que s'est-il passé en deux siècles ? Une révolte ? Oui, une révolte et une révolution, celle des vaccins.»
Deux cents pages plus loin, Philippe Sansonetti termine en faisant le vœu que «nos petits-enfants ne connaissent pas un monde d'hier des maladies infectieuses, un monde sans vaccins». Comment ne pas être d'accord avec lui ? Qui serait contre la mise au point d'un vaccin contre le Zika, la dengue, Ebola et, bien sûr, contre le VIH ? Mais est-ce la question ? Pourquoi faut-il que ce grand scientifique ait besoin de déraper, et de dire ainsi que les firmes qui produisent des vaccins font quasi de l'œuvre charitable, car le vaccin serait peu rentable ? Faut-il rappeler que l'industrie du vaccin pèse plus de 40 milliards d'euros, avec un taux de croissance de plus de 10 % ? Qu'en France, Sanofi est l'entreprise ayant, en 2016, transmis la plus forte plus-value à ces actionnaires ?
De même sur la question des adjuvants - ces particules que l'on ajoute dans la solution vaccinale pour booster l'efficacité du produit - : il la balaye en quelques mots. Dans un entretien au Point paru le 29 décembre, on lui rappelle néanmoins les travaux du professeur Romain Gherardi, chef de service en pathologie neuromusculaire. Il tranche : «Il n'existe aucune évidence épidémiologique entre ces adjuvants et le syndrome de fatigue chronique. Mais, ajoute-t-il, Romain Gherardi est de bonne foi, j'en suis sûr.» De bonne foi… Bien méprisant, cher professeur, d'autant que Romain Gherardi sort lui aussi un ouvrage : Toxic Story : deux ou trois vérités embarrassantes sur les adjuvants des vaccins.
Rien ne prédisposait celui-ci à s’intéresser aux vaccins, voire aux adjuvants. Professeur en pathologie neuromusculaire, il raconte comment, par hasard, il pointe une nouvelle maladie, avec la présence d’aluminium dans le muscle. Puis dévoile un lien possible avec la vaccination. Enfin, des questions se posent quand certains chercheurs notent des liens entre la présence de cet aluminium et le syndrome de fatigue chronique, pathologie observée en nombre important chez des militaires après avoir été vaccinés massivement avant la guerre au Koweït, puis en Irak.
Romain Gherardi raconte ses tâtonnements. Jamais il ne remet en cause l’utilité des vaccins, mais il s’interroge. Avec malice, il se souvient comment tous ses amis chercheurs le félicitent au tout début, puis comment le vent se met à tourner quand il évoque un lien avec le vaccin. Crime de lèse-vaccin. Et ne parlons pas de l’absence de budget de recherche quand il tente de décortiquer le lien entre adjuvant et fatigue chronique. Son livre est ainsi, passionnant, il se lit comme un polar. Mais il n’y a ni mort ni assassin. Juste des questions. Il donne même envie d’en débattre, ce qui manque cruellement au livre de Philippe Sansonetti.