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Libération

Lycée Averroès : Soufiane Zitouni et «Libé» relaxés au nom du «libre droit de critique»

publié le 10 février 2017 à 18h46

C'était une sale période pour le débat d'idées en France. Les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher viennent de se produire, le pays est sous le choc, à cran. Terrorisme, islamisme, place de l'islam en France, rapport à la laïcité, les Français ne sont pas loin de basculer dans une guerre de tranchées idéologiques : les oppositions entre les différents tenants de la laïcité (ouverte-fermée) sont électriques. La violence meurtrière polarise les prises de position et les mises en accusation. Le débat d'idées devient un champ de mines dont le moindre avis sitôt émis peut se transformer en déflagration pour l'auteur. Faut-il pour autant, sous la menace terroriste, polir l'opinion ? Cette semaine, la justice a rendu un jugement important pour la liberté d'expression dans un pays toujours sous état d'urgence. Le professeur de philosophie Soufiane Zitouni, qui avait mis en cause le lycée musulman Averroès de Lille dans une tribune publiée par Libération dans ses pages Idées du 6 février 2015, a été relaxé, ainsi que le journal. Les juges ont estimé qu'il n'y avait pas diffamation, mais «opinion» qui relève du «libre droit de critique».

Dans sa tribune, Soufiane Zitouni relatait son expérience de professeur dans ce lycée qui, sous contrat avec l'Etat, ne jouait pas, selon lui, le jeu de la neutralité républicaine. Il accusait notamment l'établissement d'être un «territoire musulman». Après publication, un droit de réponse du lycée avait été diffusé dans Libération. Pour la justice, cet échange relève bien du débat d'idées. Fondamentalement, le tribunal réaffirme la nature polémique des pages «opinions» des journaux : un «espace de liberté au ton moins mesuré qui ne laisse pas forcément la place à l'objectivité». Sans verser dans la diffamation ni dans la fausse information, il s'agit bien d'exprimer un avis, voire un sentiment, d'affirmer un positionnement politique, idéologique, philosophique ou tout simplement personnel.

Fait plus rare, les juges ont pris en compte le contexte exceptionnel de l'époque : les attentats de janvier 2015 «ont suscité des débats au sein de la société mais aussi au sein des différents courants de pensée portant sur l'islam en France ou de France», est-il écrit dans la décision. L'opinion de Soufiane Zitouni relève bien d'une discussion d'intérêt général. Dans une toute première tribune publiée le 15 janvier 2015 dans Libération qui, elle, n'avait pas fait l'objet de poursuites, le philosophe rappelait également que l'humour n'est pas l'ennemi du savoir.