La conquête
militaire française de Madagascar en 1895 a tendance à faire oublier que cette ile
de l’océan Indien a fait l’objet d’une intense rivalité entre Français et
Britanniques tout au long du XIXe siècle. De cette compétition entre Européens,
un souverain malgache a su tirer profit. Il y a exactement 200 ans, le roi merina,
Radama Ier signait un traité avec le roi d’Angleterre. Alors qu’il ne contrôlait
que le centre de Madagascar, ce traité de 1817 allait faire de lui le roi de
toute l’ile (en théorie).
Madagascar au début
du XIXe siècle n’était pas une ile unifiée. Le royaume merina avec pour
capitale Antananarivo était certes le plus peuplé mais il ne dominait que le
centre de l’ile. Radama qui avait succédé à Andrianampoinimerina en 1810 avait principalement
passé son temps à consolider les conquêtes de son père. Une alliance avec la premiere puissance militaire mondiale lui permettrait donc d’assurer une double politique d’invasion de
ses voisins et d’indépendance face aux Européens qui témoignaient d’un intérêt
grandissant pour l’ile.
Il n’a pas fallu
attendre la période de colonisation officielle pour que les Européens s’intéressent
à Madagascar et à sa côte orientale en particulier. Ainsi des commerçants français
avaient tout au long du XVIIIe siècle multiplié les initiatives depuis l’ile de
France (Maurice) et l’ile Bourbon (Réunion). Pendant la même période, du fait
de sa position sur la route maritime pour l’Asie, Madagascar était aussi en
contact avec la East India Company
britannique. Les Européens se livraient aussi au commerce
des esclaves et à la piraterie dans la région.
Les guerres napoléoniennes
changent cependant la donne. L’ile de France devient britannique en 1810 et
retrouve son nom de Maurice. De cet emplacement stratégique dans l’océan
indien, le gouverneur de Maurice, Robert Townsend Farquhar, entend suivre les
grandes lignes stratégiques typiques de la nouvelle forme d’impérialisme
britannique à l’échelle du globe. Le mot d’ordre est double : Madagascar
doit s’ouvrir au commerce (britannique) tout en abolissant la traite des
esclaves.
Usant de son
charisme personnel, Farquhar déploie tout un arsenal diplomatique pour obtenir un
traité. Il invite ainsi en 1816 les deux frères de Radama, Ratafika et Rahovy, à
lui rendre visite sur l’ile Maurice. La même année, il fait miroiter à Radama
une réforme de son armée, un outil qui lui permettra de s’emparer du territoire
de ses voisins. L’historien malgache, Raombana
(1809-1854), lui-même éduqué à Londres par la London Missionary Society écrira quelques années plus tard des
lignes sans ambiguïté : « On lui [Radama] fit bien comprendre que s’il
y consentait [à l’abolition de la traite], s’il passait un traité écrit, il
deviendrait bientôt […] maitre de tout Madagascar. »
Radama n’est pas
en position de faiblesse et il n’hésite pas à rappeler aux Britanniques que s’ils
ne fournissent pas leur aide militaire, il commercera avec les Français. Cette première
alliance anglo-malgache voit donc le jour en 1817 quand Radama marche avec sa
nouvelle armée sur Tamatave, le port principal de l’ile sur sa côte orientale. Le
dirigeant de Tamatave reconnait la supériorité de l’armée modernisée de Radama
et un envoyé de Farquhar, James Hastie, est envoyé à Antananarivo pour négocier
un traité formel entre les monarchies britannique et malgache.
Ce mécanisme d’alliance
entre des souverains européen et non-européen est parfaitement illustré en 1817
et un document écrit en sorabe ou arabico-malgache détaille les instructions données
par Radama à ses négociateurs. Ce document fournit le côté malgache de la négociation,
un aspect qui échappe bien souvent aux historiens désirant reconstruire l’histoire
de l’expansion européenne au XIXe siècle. À travers ce texte en
arabico-malgache, se lit tout le jeu diplomatique effectué par Radama. On est
bien loin de l’image du souverain passif face aux avancées européennes et il
est même légitime de s’interroger comment d’autres négociations ont pu se
produire en Afrique tant le jeu diplomatique et géopolitique n’est jamais entièrement
dans les mains des Européens.
Ce traité de 1817 est un tournant pour Madagascar à plus d’un titre. Il montre comment un souverain non-européen peut faire partie d’un jeu diplomatique à l’échelle de l’océan Indien voire à l’échelle mondiale. Radama, lui-même devient « roi de Madagascar » ; il n’est peut-être pas le premier à recevoir ce titre mais il est le tout premier à disposer à la fois des moyens militaires et de la reconnaissance légale internationale pour faire valoir ce titre.
Pour en savoir plus sur ce traité :
Munthe, Ludvig, Simon Ayache, and Charles Ravoajanahary, 'Radama I et les Anglais : les négociations de 1817 d'aprés les sources malgaches ("Sorabe" inédits)', Omaly sy Anio, 3–4 (1976), 9–104
---
Suivez-nous sur notre page Facebook.
---