REUTERS/Alkis Konstantinidis
La Grèce, ce sont « les feux de
l’amour » de la zone euro : des épisodes, dont on a perdu depuis
longtemps le compte, des personnages à foison, des rebondissements, des
trahisons et des passions qui se répètent à l’infini, mais parviennent à tenir
en haleine les peuples, les Etats, les marchés. Les mêmes questions, depuis
2010, toujours : la Grèce va-t-elle faire faillite ? Le Grexit est-il au
bout du printemps ? Faut-il restructurer la dette grecque ?
L’austérité est-elle le seul avenir des Grecs? Depuis sept ans, la zone euro
est engluée dans cette crise dont personne ne voit l’issue et dont le coût
politique, pour l’idée européenne elle-même, est de plus en plus élevé.
Autant dire que la zone euro n’a pas fini
d’expier son erreur, celle d’avoir admis la Grèce en 2001 dans l’Union
économique et monétaire, alors que la Commission, la Banque centrale européenne
et les États savaient parfaitement que ce pays n’était absolument pas
prêt : État défaillant, comptes publics truqués, corruption endémique,
dépense publique financée par l’emprunt, fraude fiscale généralisée, économie
digne d’un pays sortant du communisme (un secteur public non compétitif et disproportionné
par rapport à la taille du pays), etc.. Mais comment dire non au pays de
Platon ? En 2004, première alerte : le gouvernement reconnaît que le
déficit a été divisé par deux depuis 2000, ce qui était admettre implicitement
que la Grèce avait menti pour se qualifier. Si la zone euro avait réagi à
l’époque, la catastrophe aurait peut-être été évitée. Mais comme en 2000, elle
a préféré fermer les yeux. Jusqu’en 2009, lorsqu’à nouveau Athènes avoue que le
déficit n’est pas de 6 %, mais de plus de 15 %, c’est-à-dire que ce pays de 11
millions d’habitants dépensait 36,3 milliards d’euros de plus qu’il ne gagnait.
En pleine crise économique et financière mondiale, les marchés ont paniqué et
le coût de la dette grecque s’est envolé.
« Pour éviter une faillite brutale à
l’argentine ou à l’ukrainienne, les Européens ont prêté de l’argent à la Grèce
à condition qu’elle coupe dans ses dépenses publiques pour qu’elles
correspondent à son train de vie réel et fasse des réformes structurelles pour
que son économie devienne fonctionnelle », explique-t-on à la Commission.
Il s’agissait aussi d’éviter une contagion de la crise grecque aux banques de
la zone euro, notamment allemandes et françaises qui détenaient beaucoup de
dettes grecques : si les États avaient laissé la Grèce sombrer, il aurait
fallu les sauver, ce qui aurait coûté un pont aux contribuables européens.
Mais la zone euro et le FMI ont mis longtemps
à comprendre la gravité de la situation grecque : réformes mal calibrées et peu
appliquées, coupes brutales dans le budget de l’Etat (la Grèce va devoir faire
sa quatrième réforme des retraites en sept ans), sous-estimation des effets
récessifs des réformes demandées ont abouti à faire perdre à la Grèce 27 % de
son PIB depuis 2010 sans que la machine redémarre. La comparaison avec
l’Irlande, le Portugal, Chypre et l’Espagne (pour ses banques), tombés dans la
panique générale qui s’est alors emparée des marchés, est terrible : tous
sont sortis des programmes d’aide au bout de trois ans et vont mieux alors
que la Grèce, elle, en est à son troisième programme. A Bruxelles, on se veut
optimiste et on estime que son économie est désormais à peu près en ordre de
marche et qu’elle pourrait connaître une forte croissance, ce que la Commission
prévoit pour 2017 et 2018 : « mais les impondérables internes et
externes sont tels que nos prévisions n’ont jamais été justes pour ce
pays », tempère un haut fonctionnaire.
Ses partenaires croisent donc les doigts pour qu’elle
réussisse son retour sur les marchés en juillet 2018, un retour qu’elle a loupé
en janvier 2015 avec l’élection de Syriza qui voulait « casser la vaisselle ».
Mais, en supposant qu’elle arrive à se refinancer normalement, elle ne sera pas
sortie d’affaire, vu le montant de sa dette publique : 180 % du PIB, les
trois quarts étant détenues par la zone euro (via des prêts bilatéraux des
États et le Mécanisme européen de
stabilité) ainsi que par le FMI. Soit un montant de 320 milliards
d’euros prêtés par les Européens. Même si le paiement des intérêts ne
commencera pas avant 2023 et que les prêts consentis par la zone euro ont une
durée de 30 ans (donc jusqu’en 2042-2048), cela contraint la Grèce a dégager un
excédent budgétaire intenable sur le long terme pour pouvoir rembourser (3,5 %
du PIB, hors charge de la dette à partir de 2018).
Les potions amères administrées, pour
l’instant en pure perte, à la Grèce alimentent l’euroscepticisme dans l’Union,
la Commission en est consciente. Pierre Moscovici, le commissaire chargé des
affaires économiques et financières, le 15 février à Athènes, demande donc à ce
que la zone euro permette au « peuple grec de voir la lumière au bout du
tunnel ». Mais comment ? Le redémarrage économique du pays ne dépend
que de lui, ce qui permettra de faire baisser le ratio de la dette, ce qui
enclencherait un « cercle vertueux » à condition que l’Etat grec continue à vivre chichement.
Une autre solution serait de restructurer la
dette afin de diminuer nettement l’excédent primaire budgétaire exigé des
Grecs, ce qui redonnerait de l’air à l’Etat. En clair, les Etats européens
prendraient leurs pertes comme les banques et assurances l’ont fait en
2011-2012, lorsqu’elles ont laissé sur le carreau 115 milliards d’euros… Après
tout, ce sont eux qui ont admis la Grèce dans l’euro en 2001 alors qu’ils
savaient qu’elle n’était pas prête et ont fermé les yeux sur ses dérives,
notamment en 2004 lorsque le gouvernement grec a reconnu avoir truqué ses
comptes publics entre 2001 et 2004… François Hollande a d’ailleurs plaidé pour
« un allègement du fardeau de la dette », le 12 décembre.
Mais allègement ne veut pas dire
effacement : il s’agit surtout d’étaler encore davantage les
remboursements, pas d’inscrire par pertes et profits la dette grecque :
« cela coûterait cher : par exemple, la France devrait éponger 22 %
des prêts du MES… », souligne-t-on à Bruxelles. « En réalité,
personne ne veut restructurer la dette grecque, mais tout le monde laisse l’Allemagne
jouer le bad cop », poursuit cette même source. De fait, les populistes
sont gagnants à tous les coups : « soit la zone euro est inhumaine,
soit elle fait payer les citoyens français ou allemands pour les Grecs »,
soupire un haut fonctionnaire de la Commission. En Allemagne, en particulier,
le sujet est explosif à la veille des élections de septembre : « même
Martin Schulz, le candidat social-démocrate ne propose pas une restructuration,
car il sait que sa base ne le suivrait pas », s’amuse-t-on dans
l’entourage du ministère des Finances.
D’où la dureté de Wolfgang Schäuble qui estime qu’une restructuration
obligerait la Grèce à « quitter l’Union » puisqu’« aucun pays
membre de l’Union monétaire ne peut être responsable pour les dettes d’autres
pays ». Surtout, ajoute-t-on à Berlin, « qu’est-ce qui nous garantit
que la Grèce ne va recommencer à s’endetter si on efface sa dette ? Et
pourquoi les autres pays ne nous demanderaient-ils pas la même chose ? » Autrement
dit, la zone euro est dans un piège. Quoi qu’elle fasse, elle prend un risque
politique et les démagogues gagnent à tous les coups.
N.B.: version longue de mon article paru dans Libé du 20 février