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Libération
Chronique «Politiques»

La VIe République : un contresens historique

Alors qu’un vent de fronde se lève contre la Ve République de la part des candidats, le modèle devrait plutôt être conforté que remplacé.
Cette photo prise le 10 mai 2007 à Coulommiers, montre une version de la page du Petit Larousse 2008 sur laquelle figure le portrait de la candidate du parti socialiste à la presidentielle Ségolène Royal, parmi les portraits dessinés des présidents de la Ve République. Deux versions différentes de cette page imprimée étaient préparées, les éditions Larousse ont attendu le résultat de l'élection présidentielle le 06 mai 2007 pour faire figurer dans la version définitive le nom de Nicolas Sarkozy, qui a remporté le second tour contre Ségolène Royal. AFP PHOTO ERIC FEFERBERG (ERIC FEFERBERG. AFP)
publié le 15 mars 2017 à 17h06

Jean-Luc Mélenchon organise samedi prochain une grande marche vers la VIe République. Nul doute que son incomparable talent d'orateur, sa perpétuelle fureur sacrée et la colère que lui inspire l'enlisement de sa campagne attireront les foules. Il trouvera à coup sûr des accents épiques pour accabler la monarchie gaullienne et des formules lyriques pour en appeler à une Assemblée constituante chargée d'élaborer une nouvelle Constitution.

De son côté, Benoît Hamon préconise, lui aussi, une VIe République, avec notamment un étrange 49.3 citoyen, qui permettrait à 450 000 pétitionnaires d'empêcher la mise en place d'un texte législatif régulièrement voté.

Quant à Marine Le Pen, outre l'instauration de la représentation proportionnelle que préconisent également Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, elle proclame son intention d'utiliser l'arme du référendum pour forcer le destin sur les sujets cruciaux et d'en proposer l'initiative aux citoyens eux-mêmes. Un vent de fronde se lève contre la Ve République.

Lorsqu'on examine leurs programmes de près, on constate que Jean-Luc Mélenchon rêve de démocratie directe, que Benoît Hamon voudrait ressusciter une république parlementaire, et que Marine Le Pen veut mettre sur pieds une république plébiscitaire. La tentation d'une VIe République émerge comme jamais depuis 1958. C'est ce que l'on peut appeler un «contresens historique».

La Ve République a, en effet, largement fait ses preuves, et elle a beaucoup plus besoin d'être confortée que remplacée. Le général de Gaulle l'avait conçue comme une thérapeutique contre l'instabilité, contre l'impuissance et contre le discrédit de la IVe République. Il a atteint ses buts. Sous la Ve République, quels que soient les cas de figures, les majorités disposent de la durée, les gouvernements détiennent les pouvoirs nécessaires, et le chef de l'Etat possède les ressources institutionnelles pour inspirer, pour décider ou pour conduire la politique. L'usage peut en être bon ou mauvais mais les moyens d'agir existent comme dans très peu de régimes démocratiques.

Mieux : au fil des années, les institutions de la Ve République ont su s'adapter à toutes les circonstances. En 1962, l'instauration de l'élection du président de la République au suffrage universel direct a enraciné le régime. L'alternance, inaugurée en 1981, et à l'époque tant redoutée par la moitié des Français, a joué le plus régulièrement du monde et a depuis fonctionné sans heurts. La cohabitation passait pour le talon d'Achille du régime. En fait, elle a, à plusieurs reprises sous François Mitterrand, puis sous Jacques Chirac, fait la preuve de sa fiabilité. On peut même se demander si ce n'est pas en période de cohabitation que les gouvernements ont pu mener le mieux leurs politiques.

La Ve République a réussi la démonstration de sa solidité et de sa souplesse. Le rôle croissant du Conseil constitutionnel y a progressivement ajouté un contrôle juridictionnel indispensable. On peut même soutenir que la guerre permanente des frondeurs contre le gouvernement (RPR contre Raymond Barre, socialistes contre François Hollande) prouve que l'influence du Parlement dépend de sa seule combativité.

On peut, certes, à l'expérience, se demander si l'instauration d'un septennat unique ne serait pas préférable à l'actuel quinquennat reconductible. Bien d'autres améliorations sont possibles et sont souhaitables, comme l'indépendance du parquet ou l'introduction d'une dose raisonnable de proportionnelle. Reste que la Ve République est, sans doute, le régime le mieux adapté à l'ombrageux et instable tempérament français.

Contrairement à ce que préconisent les partisans d'une VIe République - pourquoi la France serait-elle d'ailleurs condamnée à une éternelle instabilité constitutionnelle ? - le rôle du chef de l'Etat a besoin d'être conforté plutôt que restreint. C'est, en effet, le nouveau défi institutionnel qui s'esquisse. L'autorité du président, clef de voûte des institutions, est en constant déclin. Sa popularité n'a fait que diminuer régulièrement depuis 1958 sous l'effet notamment des crises et des métamorphoses économiques et sociales d'une brutalité et d'une durée exceptionnelles.

Sa marge d’influence a été constamment rognée par la prééminence du marché, de la mondialisation et d’une Europe dont, depuis François Mitterrand, les chefs d’Etats n’ont pas su utiliser les instruments. L’arme du référendum s’est transformée en boomerang. La fonction se désacralise si vite qu’à l’issue d’un premier mandat, les présidents sortants sont si affaiblis qu’ils parviennent de plus en plus difficilement à se faire réélire ou sont même contraints à ne pas se représenter.

L'élu de 2017 n'aura peut-être pas de majorité parlementaire. Le régime se déprésidentialise, à ses dépens. D'où, si l'on souhaite un pouvoir capable de gouverner, la solution du septennat unique. L'inverse d'une VIe République.