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Libération
Chronique «Si j'ai bien compris»

Innocent comme l’agneau qu’on envoie paître

La culpabilité n’est pas la question qui se pose aux candidats à la présidentielle. Ce débat est dépassé puisque, de toute façon, le peuple est complice jusqu’au cou.
publié le 17 mars 2017 à 17h16

Si j’ai bien compris, les seuls en ce moment à ne pas avoir droit à la présomption d’innocence seraient les magistrats et les journalistes. Est-ce que ces saligauds, sous prétexte de faire leur métier, n’auraient pas en réalité une idée derrière la tête ? On voit bien pour qui ils travaillent, pour la vérité. En pleine campagne pestilentielle, personne ne peut présumer ça innocent. Si ça continue, alors que les journalistes se saisissent déjà des promesses électorales non tenues, bientôt ça va aussi être aux juges de s’en mêler. Après tout, un contrat est un contrat, quand bien même c’est avec le peuple dont l’élu est justement le représentant. Il faudrait savoir qui est le plus souverain, le peuple ou la justice - déjà qu’on a souvent du mal à distinguer lequel des deux est le plus aveugle. Puisque François Fillon prend le suffrage universel en otage comme une sorte de justice supérieure (de magistrature suprême ?), est-ce que, s’il est élu, les juges qui l’ont grossièrement embêté devraient passer le quinquennat dans les basses-fosses de son château, comme si le Front national avait gagné ? Mais il ne faudrait pas que le peuple ni son représentant se prenne pour le pape, à être cul et chemise avec l’infaillibilité. Après la monarchie, la démocratie de droit divin. Ce serait d’ailleurs intéressant d’écouter les réserves de François Fillon quant au suffrage universel si par hasard il ne gagne pas la présidentielle. Est-ce que, en ces temps d’austérité, la République a les moyens d’entretenir un président comme François Fillon et sa famille nombreuse ?

Le peuple va-t-il encore pouvoir être présumé longtemps innocent ? Conservera-t-il son innocence même s’il fait majoritairement le choix de Marine Le Pen ? C’est bien beau de jouer les gros bras dans l’urne mais, après, il faut payer l’addition pendant cinq ans. Et tous les candidats ne présument-ils pas que les électeurs sont bien innocents pour se laisser prendre à leurs annonces et à leurs bonnes ou pas bonnes têtes ? Quand Benoît Hamon assure que l’élection d’Emmanuel Macron serait un marchepied pour Marine Le Pen en 2022, veut-il dire que c’est plus sûr d’avoir Marine Le Pen dès 2017, dans l’espoir qu’elle ne serait pas réélue dans cinq ans et que ce serait fait une bonne fois pour toutes ? Mais ne laisserait-elle pas alors la place à sa nièce ? D’un autre côté, le peuple n’est pas innocent : il sait bien que la classe politique est ce qu’elle est et on n’a jamais que la classe politique qu’on mérite.

Voudrait-on seulement comme président d’un présumé innocent à juste titre ? On l’imagine, au G20, se promenant vêtu de sa feuille de vigne et de lin blanc sous les regards attendris de Vladimir Poutine et Donald Trump. C’est lui qu’on enverrait au front diplomatique, voler de succès en triomphe dans les négociations avec Benyamin Nétanyahou ou Recep Erdogan. C’est le rôle qu’a voulu jouer François Hollande qu’aucun scandale juridique ne menace et qui, dans un esprit de justice plein d’innocence, a voulu bombarder la Syrie et pacifier l’Afrique. Si j’ai bien compris, un vrai présumé innocent, on ne le supporte même pas comme candidat.