Dans le débat qu’il a ouvert sur la raréfaction de l’emploi, Benoît Hamon met en avant les nombreuses études sur les bouleversements induits par les outils numériques, la robotique, l’intelligence artificielle. Chacun peut d’ailleurs constater la disparition en cours ou en proche avenir d’innombrables métiers manuels et administratifs, la précarité, la fragilité d’emplois présumés naguère à vie.
Contestant ou relativisant cette évolution, les croyants qui font une religion de la croissance de la production attendent de son retour un redémarrage de l’emploi. Ils invoquent le principe schumpeterien de «destruction créatrice» et celui d’Alfred Sauvy de «déversement» de l’agriculture à l’industrie, de celle-ci aux services, de l’ensemble vers la révolution numérique ; déversement qui paraît s’opérer aux Etats-Unis et en Allemagne par la création d’emplois assez nombreux pour stabiliser le chômage.
Mais il est non moins vrai que les pays sous-développés d’Afrique, du Pacifique ou d’Amérique latine ne parvenant pas à compenser la disparition des formes traditionnelles d’agriculture et d’artisanat, connaissent un chômage massif dans des villes surpeuplées et la montée dramatique de migrants sans ressources. Il faut ajouter que dans les pays développés, aux Etats-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni par exemple, les emplois créés ont de lourds effets sur l’environnement et les conditions de travail : lancés par des entreprises dont la finalité est le profit immédiat et sans mesure, ils dégradent l’empreinte écologique et creusent les inégalités.
Course effrénée vers les profits
Les inégalités par l’abondance, la sophistication de biens et services (croisières, nourritures exotiques, etc.) certes impressionnants (bien que souvent inutiles et parfois nuisibles) qui, comblant les plus riches, convoités par les classes moyennes, constituent des marchés hautement rentables et clivant face à la frugalité des biens et services concernant les plus faibles, les plus pauvres, les personnes dépendantes ou déplacées.
Une part d’emplois nouveaux émerge dans des secteurs caractérisés par une haute technologie, un marketing intense et des profits démesurés, non sans dégâts sociaux et environnementaux.
Une autre part, située hors de ces secteurs, constitue une zone grise d’emplois plus ou moins précaires, moins protégés, moins rémunérés ; ils créent des déséquilibres qui sapent la cohérence de la société et menacent la démocratie. On ne saurait se faire d’illusion sur un rééquilibrage juste et spontané des conditions de travail de ces emplois dans une économie libérale engagée dans une course effrénée vers les profits.
Heureusement, d’autres voies existent qui, par le bon usage de fabuleuses technologies cherchent à en tirer bénéfice pour tous les citoyens du monde, en allégeant la pénibilité du travail, en répondant aux besoins essentiels mal satisfaits, en prenant soin du mieux vivre dans une nature respectée.
Une première voie est la réduction du temps de travail, contrepartie naturelle de sa productivité accrue; réduction tendancielle d’ailleurs depuis deux siècles, qu’il faut soutenir (notamment par des dispositions fiscales et réglementaires) contre l’homélie néolibérale «travailler plus et plus dur», à ne pas confondre avec le travail ayant un sens conduisant à l’épanouissement individuel et au bien vivre ensemble.
Utilité sociale
Une autre voie, complémentaire de la première, est celle d’une économie créant des emplois dans des activités écolo-socio compatibles, répondant à des besoins que le marché ne satisfait pas faute de rentabilité suffisante : besoins liés aux turbulences du climat, à la surpopulation urbaine, à la désertification des campagnes, à l’allongement de la durée de la vie, aux risques naturels, alimentaires, sécuritaires, témoignant d’humanité pour les plus faibles, en particulier les migrants…
Ces activités se sont largement développées ces dernières années sous forme hybride à la fois marchande et d’utilité sociale, bénéficiant d’aides publiques, de concours bénévoles et d’apports d’épargne solidaire pour leur part d’éthique et d’intérêt général non commercialisable. Elles relèvent désormais de la loi Hamon de 2014 sur l’économie sociale et solidaire qui définit leurs valeurs spécifiques, leur mode de fonctionnement démocratique et leur place dans les territoires.
De plus en plus nombreuses, de mieux en mieux reconnues pour leur rôle réparateur, elles restent encore dispersées, manquent de lien et de coopération entre elles ; il y a encore beaucoup à faire pour les relier et en faire un vrai projet politique, pour leur donner toute leur place dans l’économie globale.
Le débat électoral est une formidable opportunité pour faire de ce renouveau l’objectif stratégique des prochains quinquennats.