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TRIBUNE

Les primaires, machines à perdre ?

Les deux candidats issus de ces votes sont en difficulté. Cette procédure censée combiner vertus démocratiques et efficacité électorale, régler la question du leadership et produire l’unité, semble plomber le candidat victorieux.
Lors du débat télévisé de la primaire de la gauche sur TF1, le 12 janvier. (Photo Marc Chaumeil)
par Rémi Lefebvre
publié le 21 mars 2017 à 18h16
(mis à jour le 21 mars 2017 à 18h22)

La victoire de François Hollande en 2012 a été le mythe fondateur des primaires. Elle a validé ex post le pari politique que constituait le choix de ce nouveau mode de sélection. La méthode ouverte de désignation a offert alors un socle de légitimité au candidat socialiste qui a constitué un avantage compétitif décisif. C'est sur cette base que la droite l'a adoptée. Mais la donne a changé. Les primaires ont affaibli tant le candidat de gauche que le candidat de droite pour des raisons à la fois communes et différentes. Alors que la primaire de 2011 ont produit un candidat plutôt modéré, elles ont conduit en 2016-2017 à radicaliser chaque camp autour d'un réflexe identitaire : dans un contexte de victoire annoncée dans le cas de la droite, dans une conjoncture à gauche de prophétie de désastre. Les sympathisants de droite pensaient désigner un candidat qui allait à coup sûr gagner, avec le raisonnement suivant : «Votons pour le candidat le plus proche de nos idées puisqu'il est sûr de gagner.» Ce qui a favorisé un candidat à la fois ultralibéral sur le plan économique et conservateur sur le plan culturel. La radicalisation à gauche (au regard de la ligne dominante du parti) procède de ressorts différenciés. Les électeurs de gauche, désemparés, se sont ressourcés dans une candidature qui a su réenchanter l'exercice de la primaire. Benoît Hamon a compris que les ressources de présidentialité étaient dévaluées. Puisque l'enjeu n'était pas l'élection, il a subverti la figure du surhomme présidentiel. En se plaçant sur le terrain de «l'imaginaire», il a redéfini la primaire comme un combat culturel pour rouvrir les possibles. Une partie des électeurs de gauche a agréé : «Prononçons-nous pour le futur désirable et non pour l'avenir politique à court terme désiré».

Le positionnement déporté des deux candidats a ouvert un large espace à Emmanuel Macron, qui consolide un improbable positionnement centriste. En combinant libéralisme économique et culturel, le candidat fédère et décomplexe la gauche de la droite et la droite de la gauche tout en canalisant le vote utile face au péril FN. Emmanuel Macron s'autorise toutes les ambiguïtés programmatiques tandis que les «candidats à primaire» peinent à s'affranchir de la ligne politique que leurs sympathisants ont validée. Ils réajustent, certes, leur programme (plus de sécurité pour Fillon, plus de «crédibilité» pour Hamon) mais ne peuvent se déjuger et s'aliéner la base qui les a légitimés. Les primaires qui fonctionnent comme un tamis social sur le plan électoral produisent un effet déformant. L'électorat qui a permis la victoire lors de la phase de sélection n'est pas celui qu'il faut conquérir lors du «vrai» scrutin. Il n'est pas facile de passer du «petit» au «grand bain» selon Hamon.

A droite, la primaire a produit un candidat (un court temps) incontesté qui a pris la main sur le parti, mis en coupe réglée. Le vainqueur a tout raflé, ce qui a le mérite de la cohérence. Les problèmes actuels de Fillon procèdent moins de la primaire elle-même que de l’irréversibilité qu’elle a créée. La procédure et les 4 millions d’électeurs qu’elle a mobilisés protègent le candidat qui se retranche derrière sa légitimité populaire. Le piège de la primaire s’est ainsi refermé sur la droite en empêchant l’émergence d’une solution alternative.

La primaire de gauche a permis de trancher les différends du PS, non soldés entre 2012 et 2017, mais pas vraiment de les clarifier ou de les dépasser. Ce fut de fait un précongrès, externalisé et arbitré par des non-adhérents, mais c'est bien toujours le dernier congrès socialiste qui fixe les équilibres partisans internes. La direction du parti ne s'est pas réalignée comme à droite. Le frondeur a gagné mais le voilà désormais à son tour «frondé». Le principe cardinal de la primaire, c'est le ralliement inconditionnel au candidat désigné mais, quand celui-ci est relégué, la règle est plus facile à transgresser. La tentation est d'autant plus forte au PS qu'une culture de la déloyauté s'y est installée. Manuel Valls fait ainsi le pari de prendre la tête d'un groupe socialiste de députés qui pourraient négocier son soutien à Emmanuel Macron. Non seulement Hamon ne peut s'appuyer sur l'appareil du parti (le veut-il vraiment ?) mais l'électorat socialiste est fortement tenté par le candidat centriste. Le candidat socialiste, qui sait la défaite probable, ne veut pas sacrifier son identité en se recentrant car il pense à l'étape suivante, c'est-à-dire la recomposition du leadership de gauche. Il ne peut pas non plus donner prise à la critique de Jean-Luc Mélenchon. La primaire n'a, in fine, que ponctuellement desserré l'étau dans lequel est pris le PS.

A ce stade de la (non)-campagne, il est ainsi probable que Fillon et Hamon ne passent pas le stade du premier tour alors que les primaires étaient censées assurer à coup sûr leur place au second. Les candidats autoproclamés ont le vent en poupe. Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont portés par des organisations verticalisées et centralisées, créées ad hoc pour asseoir les ambitions des deux premiers. Ils opposent aux primaires une légitimité charismatique qui résonne avec la symbolique de l'homme providentiel. Face à la pétaudière de la primaire, ils incarnent la clarté et prospèrent sur le rejet des partis. Utilisées pour relégitimer les partis de gouvernement, les primaires ne sont pas parvenues à conforter leur rente de position dominante.

De là à penser que les primaires sont mortes… Dans les partis «traditionnels», où le leadership n’est plus naturel, on voit mal comment revenir au mode de désignation antérieur et à la désignation «confinée». Comment pourrait-on revenir en arrière ? C’est le paradoxe des primaires. Alors qu’elles peinent à démontrer leur efficacité et légitimité et qu’elles ont hystérisé encore un peu plus le jeu politique présidentialisé, elles ont sans doute produit un effet cliquet.

Dernier ouvrage paru : les Primaires ouvertes en France, avec Eric Treille, aux Presses universitaires de Rennes, 2016.