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Blog «Géographies en mouvement»

Ton pays, c'est trop moche

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Ecoutons-nous parler des pays que nous ne connaissons que par quelques détails. Ou une réputation. Que disent nos stéréotypes géographiques sur nous ?
Des préjugés cartographiés. Pour imaginer que nos manières de parler des autres sont toujours marquées par des distances culturelles.
publié le 21 mars 2017 à 10h22
(mis à jour le 21 mars 2017 à 22h14)

Vous n'aimez pas les Anglais, les Bretons, les Chiliens ? Moi non plus ! Comment en sommes-nous arrivés à penser qu'une expérience malheureuse de l'Angleterre, de la Bretagne ou du Chili nous a rendus ces régions antipathiques. Que veut dire «ne pas aimer la Chine» ? Y être indifférent ? La journaliste suisse Aïna Skjellaug (1) n'y va pas par quatre chemins à propos des Pays-Bas : «Parce qu'au­tour d'eux, ça va. Les vrais Scan­di­naves ont ce goût sau­vage des fjords, des baies po­laires et de la li­ber­té dans le vent vif. Les Al­le­mands, ils sont cos­tauds avec sainte An­ge­la comme pré­si­dente et les meilleures équipes de foot du monde. Je fonds de­vant ces An­glais qui s'ex­cusent mille fois avant de nous dire ce qu'ils veu­lent. Mais le gou­da, je n'y ar­rive pas.»

Pour le gouda, on aiguillera Aïna vers un éloge des fromages hollandais. Elle qui craignait dans les urnes dimanche un Le Pen sauce hollandaise, s'est plantée même si le résultat lui fait «ni chaud ni froid. Un peu comme la soupe aux pois qu'ils servent en plat de résistance.» (...) Et elle ajoute : «C'est plus fort que moi, mais les Pays-Bas, je ne les aime pas. Trop au nord pour ir­ra­dier la dolce vi­ta dan­sante, trop au sud pour l'étreinte forte des an­ciens Vi­kings ivres d'aqua­vit. C'est li­mite ra­ciste. J'en ai honte. En fait non, pas tant que ça

Où ça coince, Aïna ? Tu ne supportes pas cette «langue atroce vous vrillant les tympans» lorsque tu es coincée avec des Hollandais dans un téléphérique : «Çà vous ruine le paysage». Tu en rajoutes sur les touristes grands blonds et leurs coffres de voiture pleins de bouffe. Tout juste ne veux-tu pas couper les ailes aux moulins, bombarder les digues, interdire les coffee shops à Amsterdam, les harengs, les sabots. Et tu ajoutes à ta short list hollandaise : les peintres, notamment Vermeer au Louvre.

Comment te faire découvrir les charmes du gouda et de l’aquavit ? Pour Sylvain Delouvée (2), tes stéréotypes te permettent de traiter vite une grande masse d’informations pour la rendre intelligible. Quand il s’agit des autres, tu exagères les différences – en tirant vers le bas – pour fabriquer une ressemblance. Muzafer Sherif, de l’université de Pennsylvanie, te parlerait plutôt des formes de compétitions sociales ou géographiques, fabriquant des «dominants» et des «dominés», comme on fabrique en France des «Parisiens» et des «provinciaux» et dans ton merveilleux pays des «Romands» et des «Alémaniques». Des stéréotypes destinés à vous tenir à distance. Un gros mur de préjugés que tu peux franchir pour peu que tu regardes d’où tu parles.

L'autre jour, dans le Paris-Genève, une petite fille disait à celle qu'on avait identifié comme sa cousine : «Ton pays, c'est trop moche. Heidi est idiote de croire que le lait de chèvre peut guérir les maladies.« Les préjugés, ça peut commencer tôt.

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(1) Le Temps, 16 mars 2017.

(2) S. Delouvée et J.-B. Légal, Stéréotypes, préjugés et discrimination, Dunod, 2015

Pour aller plus loin :