L'association L214 avait diffusé des images prises au sein de l'abattoir intercommunal du Vigan dans le Gard (1). Cet abattoir, un des plus petits de France, était au moment des faits certifié «bio». Pourtant, la vidéo tournée par L214 montre des animaux mal étourdis, des moutons jetés violemment contre la rambarde, parce qu'ils refusaient d'avancer vers le lieu de leur mise à mort. Après la diffusion de ces scènes insoutenables, l'abattoir avait été fermé à titre conservatoire, pour reprendre partiellement son activité le 21 mars 2016.
Comme à chaque fois, L214 avait constaté des manquements majeurs à la loi et des mauvais traitements infligés aux animaux ; elle avait donc porté plainte. En conséquence, trois employés et la communauté de communes du Pays viganais ont renvoyé devant le tribunal correctionnel d'Alès pour «actes de cruauté» et «sévices graves sur animaux», «mauvais traitements sur animaux» et plusieurs infractions à la réglementation sur l'abattage.
Ainsi, les 23 et 24 mars, se tient un procès attendu par celles et ceux, de plus en plus nombreux, qui sont bouleversés par ce qui se déroule derrière les murs des abattoirs. Un dispositif exceptionnel a même été mis en place afin de permettre d'accueillir un nombreux public lors de l'audience (2).
Déjà, il y a cent soixante-dix ans, Flaubert, rapportant, dans son journal de voyage Par les champs et par les grèves, sa visite d'un abattoir quimpérois, notait : «Les bouchers besognaient, les bras retroussés. Suspendu, la tête en bas et les pieds passés par un tendon dans un bâton tombant du plafond, un bœuf, soufflé et gonflé comme une outre, avait la peau du ventre fendue en deux lambeaux. […]. Les entrailles fumaient ; la vie s'en échappait dans une bouffée tiède et nauséabonde. Près de là, un veau couché par terre fixait sur la rigole de sang ses gros yeux ronds épouvantés, et tremblait convulsivement malgré les liens qui lui serraient les pattes.»
Ces quelques lignes de l'auteur de Madame Bovary caractérisent parfaitement l'essence même des abattoirs, cette confrontation entre la violence humaine, indispensable à la production d'aliments carnés, et la résistance désespérée des animaux, victimes désignées se battant pour leur vie. Quels que soient l'époque, la taille de la structure, le mode d'abattage ou la réglementation applicable, les abattoirs sont des lieux où le sang doit couler, continuellement.
C'est l'existence même des abattoirs qu'il va pourtant falloir, tous ensemble, oser remettre en cause. Depuis 2015, le code civil affirme que «les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité» ; le code rural se bornait à leur reconnaître la qualité d'êtres sensibles, même si le code pénal réprimait aussi, de son côté, certaines atteintes portées à la vie des animaux. La conjonction de ces deux qualités, d'être vivant et d'être sensible, devrait nous conduire à rejeter le principe même des abattoirs, où les animaux meurent dans la terreur la plus effroyable, où les agneaux, attendant d'être massacrés, pleurent comme des bébés (3).
Trois salariés comparaissent pour avoir enfreint la réglementation technique applicable aux abattoirs. En réalité, ils seront jugés pour avoir été les rouages d’un système où le meurtre est organisé sur un mode industriel dans l’effroi et le sang, un système qui assassine à la chaîne des êtres sensibles, en toute légalité, au nom de pratiques, de goûts et de traditions culinaires, un système que, pourtant, nous refusons de voir, alors que nos cuisines sont les réceptacles des produits de ses crimes barbares.
Le «meurtre alimentaire», comme l'appelait Pythagore, puis Porphyre, est institutionnalisé et, pourtant, il n'est pas nécessaire à notre survie. Nous attendons le jour où ce sera le système tout entier qui occupera le banc des accusés.
(1) https://www.l214.com/enquetes/2016/abattoir-made-in-france/le-vigan/
(2) http://www.midilibre.fr/2017/02/28/un-dispositif-special-pour-le-proces-de-l-abattoir-du-vigan,1472304.php
(3) https://www.liberation.fr/futurs/2016/05/16/souffrance-animale-l-objectif-n-est-pas-d-eviter-de-la-douleur-a-l-animal-mais-de-securiser-le-trava_1453032
Signataires : Yann Arthus-Bertrand Photographe, Jean-Baptiste Del Amo Ecrivain, Christine Delphy Sociologue, directrice de recherches émérite au CNRS, cofondatrice de Nouvelles Questions féministes, Virginie Despentes Ecrivaine, Jacques-Antoine Granjon PDG de vente-privee.com, Nili Hadida Chanteuse du groupe Lilly Wood and the Prick, Stéphanie Hochet Ecrivaine, Amélie Nothomb Ecrivaine, Martin Page Ecrivain, Philippe Reigné Juriste, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), Matthieu Ricard Biologiste, fondateur de Karuna-Shechen, Véronique Sanson Chanteuse, Mathieu Vidard Journaliste, animateur de la Tête au carré.