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Chronique «Historiques»

La Vierge et les migrants

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Andrés Manuel López Obrador, le chef de l’opposition mexicaine, a poussé la campagne contre la politique migratoire de Donald Trump jusqu’à New York auprès de ses concitoyens.
Une barrière longue de plus de 1 000 kilomètres existe déjà entre les Etats-Unis et le Mexique. (Photo Christian Torres. AP)
publié le 29 mars 2017 à 17h06

On imagine mal un homme politique algérien venir en France faire la tournée de ses compatriotes pour attaquer le gouvernement français. Nous sommes aux Etats-Unis, et c’est un Mexicain, Andrés Manuel López Obrador (ou Amlo), candidat malheureux à l’élection présidentielle et ancien maire de Mexico, qui bat la campagne de Los Angeles à El Paso, de Chicago à New York. A Manhattan, lundi 13 mars, dans une église consacrée à la Vierge de Guadalupe, il a rencontré les migrants mexicains avec ou sans papiers. Pourquoi un sanctuaire marial pour un candidat laïque ? C’est que la Vierge miraculeuse est depuis des siècles un point de ralliement pour tous les Mexicains et un support d’identité quand le reste s’est évaporé.

Que retenir de cette visite, par-delà ses dimensions strictement mexicaines ? D’une part, la latino-américanisation - et, en l’occurrence, la mexicanisation -des Etats-Unis, là où les communautés d’origine hispanique occupent dans tous les domaines une place croissante, doit nous faire comprendre que l’Amérique latine ne s’arrête plus sur le Rio Grande mais qu’elle s’étend jusqu’à Montréal et Toronto, voire au-delà. De quoi prendre toute la mesure des déclarations de Donald Trump et de ses répercussions. Encore que ces migrants ne sont pas que les émissaires d’un sud hispanique : aux heures où les équipes se relèvent sur les grands chantiers de la ville, il n’est pas rare d’entendre dans le métro des ouvriers échanger en nahuatl ou en mixtèque, deux langues majeures du Mexique indigène. Le comble dans un Manhattan depuis longtemps purgé de ses peuples autochtones !

Cette implantation ne met pas seulement en cause notre image des Etats-Unis. Elle a une forte incidence sur la vie des migrants et leurs pays d'origine : non seulement quantité de régions et de villages d'Amérique centrale et du Mexique subsistent de l'argent (remesas) envoyé par ceux qui ont passé la frontière, mais l'existence aux Etats-Unis est devenue pour eux une rude école qui leur apprend à s'organiser, à se syndicaliser, à exiger une information et une justice qui leur sont rarement accordées dans leurs terres natales. Le poids économique des migrants et leur vitalité, on s'en doute, ne peuvent laisser indifférentes les forces politiques du Mexique. Au moment où Amlo commençait son tour des Etats-Unis, le gouvernement mexicain annonçait l'ouverture de centres de défense des migrants et des dotations budgétaires pour venir en aide aux futures victimes de Trump. D'autant que les mesures prônées par l'administration américaine, même encore sans effet réel, ont semé le désarroi dans les populations concernées, qu'elles soient ou non mexicaines, en particulier chez les enfants qui sont continuellement exposés aux déclarations tonitruantes de Trump, reprises en boucle par les médias. Le suicide, le 21 février, d'un jeune Mexicain qui venait d'être renvoyé dans la ville frontière de Tijuana est révélateur de la vague de peur qui monte chez les migrants et de leur vulnérabilité.

Mais la visite d’Amlo pose une autre question qui nous concerne aussi. Le populisme de Trump est-il contagieux ? Est-il susceptible de sauter les frontières et de contaminer ses victimes ou ses adversaires les plus résolus ? Amlo - actuellement le candidat le mieux placé pour gagner la présidentielle mexicaine de 2018 -fait les frais de ses rapprochements. Au Mexique, ses adversaires dénoncent en lui un autre Trump. La démagogie raciste et xénophobe du gouvernement américain va-t-elle rallumer chez son voisin une exaltation nationaliste et resserrer l’union sacrée autour d’un chef quel qu’il soit ? Pas forcément.

Le 13 mars dans le sous-sol de l'église new-yorkaise, bondé de Mexicains d'origine populaire, Amlo a longuement évoqué la vocation de New York, terre d'accueil des persécutés européens depuis le XVIIe siècle, des laissés-pour-compte de la révolution industrielle et des Juifs fuyant l'antisémitisme. C'était à la fois extraire le cas mexicain de son cadre strictement national pour le situer dans la longue durée et éviter de sombrer dans une rhétorique anti-américaine plus propre à exciter les foules qu'à contrer la menace qui frappe tous les sans-papiers d'où qu'ils viennent. Nous voilà loin de la démagogie et du populisme de ses rivaux de droite et de gauche. L'avenir dira si les Mexicains opteront pour López Obrador ou s'ils suivront la ligne conservatrice du Brésil de Michel Temer après la déposition de Dilma Rousseff. Mais surtout les propos d'Amlo nous rappellent que ce qui se passe aux Etats-Unis interpelle tous les Européens que nous sommes. Le monde occidental s'est construit à force de circulations, de migrations et de mélanges. Il ne faudrait pas que la France et d'autres pays d'Europe l'oublient et emboîtent le pas au président américain en dressant d'autres murs.

Cette chronique est assurée en alternance par Serge Gruzinski, Sophie Wahnich, Johann Chapoutot et Laure Murat.