Lorsque la situation historique pendant la Révolution française semblait prendre un mauvais tournant, les membres du Club des Cordeliers mettaient un voile sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ils signifiaient ainsi qu’elle était en danger. «Voiler» et «dévoiler» la Déclaration des droits était un geste de jugement politique et un avertissement. Face à la corruption des gouvernements, il fallait actionner le terrible droit de résistance à l’oppression.
Car pour les révolutionnaires, la corruption est toujours celle des gouvernements qui ensuite corrompent l’esprit public. La corruption vénale n’est qu’un symptôme de cette corruption plus fondamentale qui fait que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne semble plus capable de fournir les normes de l’action politique.
Très longtemps dans ce pays, l’extrême droite est apparue comme faisant courir le risque, en arrivant au pouvoir, de faire disparaître les principes républicains. Et peut-être est-ce encore le cas aujourd’hui in fine, puisque l’inquiétude politique ne semble mobilisable qu’à cet endroit précis : fabriquer un mur entre le monde et l’immonde. Mais qu’est-ce que cela ? Où passe la frontière du «monde» et de l’«immonde» ? Qui a mis et met en danger la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui fait partie de notre bloc constitutionnel ?
Cette séquence électorale est un temps de voilement et de dévoilement. Dévoilement si c'était nécessaire du danger réel que constitue un Front national allié au pouvoir corrompu de la Russie de Vladimir Poutine. Ce dernier accueille comme un chef d'Etat Marine Le Pen et fait arrêter les manifestants qui dénoncent la corruption. L'Habeas Corpus en ces lieux n'est plus respecté depuis longtemps déjà, mais il y a là, dans cette visite entre corrompus et cette arrestation brutale de ceux qui tentent de résister à l'oppression, comme un signe avant-coureur aux accents shakespeariens.
Dévoilements évidents, les soupçons de corruption de François Fillon et de Marine Le Pen sont signes non seulement de personnes peu vertueuses, mais d'institutions fragiles. Sans la bataille électorale, aurions-nous été amenés à le savoir ? Les institutions font leur travail avec plus d'ardeur en période de politisation, c'est-à-dire de conflit assumé. Voilà quelque chose à méditer. Sans conflictualité, peu de vertu car peu de surveillance. Les institutions, c'est important, et, en France, à plusieurs reprises, elles ont fait leur travail, du côté des médias comme de la justice, mais il faut le désir de vérité pour que la corruption ne l'emporte pas. «Que veulent ceux qui ne veulent ni vertu ni terreur ?» interrogeait Saint-Just. «Terreur» veut alors dire surveillance et justice inflexible pour ceux qui sont en position de gouverner. Ne pas évincer de tels candidats aurait supposé sans doute de voiler la Déclaration.
Dévoilement encore de l’inanité de la formation politique qui nous a gouvernés et qui ne respecte pas aujourd’hui la primaire qu’elle a mise en place, révélant que cette primaire n’était qu’une manœuvre pour bloquer le débat.
Enfin, la dernière bavure policière en date montre qu’à force de donner trop de crédit à un exécutif policier doté désormais d’une fallacieuse légitime défense, il y aura de plus en plus mort d’hommes…
C’est alors tout l’arsenal antiterroriste et l’état d’urgence décidé ou soutenu par ceux qui soutiennent aujourd’hui Emmanuel Macron qui a préparé un renoncement grave à l’efficience de notre bloc constitutionnel. Depuis bien longtemps, ce sont les actions des socialistes au gouvernement qui auraient conduit les cordeliers à voiler la Déclaration des droits.
Oui, de fait, l’esprit public est corrompu. Pas de soulèvement, pas de capacité à dénoncer ce qui se passe, une naturalisation en douceur, comme la banalisation du Front national se fait en douceur avec des adeptes qui savent que le libéralisme économique actuel non seulement est une fabrique de malheureux mais peut tuer lui aussi.
Qui a banalisé le Front national ? Les tenants de ce libéralisme qui accule les malheureux à croire à de mauvaises promesses qui se fondent sur une clôture du national et la fabrique de boucs émissaires. Si un frein doit être mis à la violence de l’économie libérale, soit il sera arc-bouté à la Déclaration des droits comme lieu d’un renouveau à venir, soit il conduira à la voiler durablement.
Comment croire que la cause du vote Front national, le libéralisme actuel, puisse faire obstacle au Front national, sinon en voilant une vérité certaine ?
«Une porte doit être ouverte ou fermée», disait Alfred Musset, la Déclaration des droits voilée ou dévoilée. Ce sera l'enjeu de ces élections.
Cette chronique est assurée en alternance par Serge Gruzinski, Sophie Wahnich, Johann Chapoutot et Laure Murat.