En 87, à Cannes, Pialat reçoit la palme d'or pour Sous le soleil de Satan. On entend des sifflets, des huées. Catherine Deneuve prend la parole, elle demande aux gens de se calmer pour laisser parler Maurice Pialat. Il traverse la salle sous les huées, et il monte sur scène. Il porte une chemise blanche, un nœud papillon, et un gilet en laine. On lui tend un micro. Il dit : «Je ne vais pas faillir à ma réputation, je suis surtout content ce soir pour tous les cris et les sifflets que vous m'adressez. Si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus.» Les sifflets redoublent. Il lève le poing. Il tourne le dos. Son dos est large, massif. Son propos n'était pas entortillé, c'était clair, deux camps, deux mondes. C'est ainsi. Je sais que vous ne m'aimez pas. Sachez que je ne vous aime pas non plus. On n'a rien à se dire. On ne dialoguera pas. Je lève le poing. Je tourne le dos. Ça s'arrête là. Ça ne m'empêchera pas de vivre, ni vous non plus. C'est comme ça, c'est bien aussi. D'ailleurs je suis content des cris et des sifflets. Ça signifie que vous avez compris mon film. Moi, je ne siffle pas quand les films qui vous plaisent reçoivent des prix, je ne dis rien, ou pas grand-chose. Mais, puisque vous me sifflez, comme si le cinéma était votre propriété, laissez-moi vous dire que je ne vous aime pas non plus, c'est l'occasion.
Pialat ne révèle rien. Il ne déchire pas le silence. Il ne nous apprend rien. Il traduit juste en mots les cris et les sifflets. C'est tout. Si vous ne m'aimez pas, je ne vous aime pas non plus. Il lève le poing. Il tourne le dos. Son discours est fini. Mais la phrase «malheur à celui par qui le scandale arrive» est souvent mal interprétée, mal comprise. Et ça a fait scandale comme si, à lui tout seul, il avait inventé les deux camps et la haine. «Malheur à celui par qui le scandale arrive», ça ne veut pas dire «malheur à celui qui dit le scandale, qui le traduit en mots». Ça veut dire «malheur à celui qui en est l'auteur, qui en est la cause». Le Canard enchaîné n'est la cause d'aucun scandale, il faut pourtant voir la mine scandalisée de François Fillon, outragée, blessée, «shocking».
Dans le journal de France 2, il y a quelques jours, il y avait un reportage sur les cauchemars. Une neurologue expliquait que désormais on peut les enlever du cerveau. Grâce aux progrès de la médecine, en repérant les zones où ils se forment, et en intervenant ensuite par des techniques comme l’hypnose ou autres. Elle explique que les cauchemars font suite à des expériences difficiles, ou à des traumatismes que le cerveau a mal digérés. Et il traduit ces expériences en images mentales forcément désagréables, pendant la nuit. Une voix off précise que Freud, dans une période lointaine, avait compris qu’ils étaient liés à l’inconscient, et qu’on pouvait accéder à l’inconscient par les mots en s’allongeant sur un divan. Et le ton de la voix indique que maintenant c’est beaucoup mieux, les progrès de la médecine permettent de les retirer directement du cerveau. Comme avec une pince à épiler on peut retirer une écharde du pied. Sans se mettre à écouter l’inconscient des gens pendant des années. Là, vous mettez la personne dans une chambre à l’hôpital, vous branchez une caméra sur elle pendant son sommeil, vous l’observez, et vous procédez ensuite à l’effacement. Et voilà. C’est effacé. Le cauchemar bientôt n’existera plus.
Et tout le monde s’aimera. Quand il y aura des sifflets ou des cris, celui qui aura été hué pourra répondre, on mettra une petite horloge, chacun aura son temps de parole, ce sera loyal. Il ne tournera pas le dos. Et ceux qui ne seront pas loyaux, comme Manuel Valls, ça n’existera plus. La peur n’existera plus. Le cauchemar n’existera plus. Et donc personne n’aura plus peur que le cauchemar se réalise.
Celui qui aura dit qu’il votera Hamon votera Hamon. Même s’il prend le risque de laisser passer Marine Le Pen. Ce ne sera plus un cauchemar. Grâce aux progrès de la médecine. On la laissera gouverner cinq ans, dix ans. Ceux qui feront des cauchemars pendant la période, on les retirera à la pince à épiler.
Il y aura toujours des gens qui refuseront de se soigner. D’être filmés pendant leur sommeil. Ceux-là feront des cauchemars où ils se verront, en 2022, dans un bureau de vote, avec seulement deux bulletins sur la table, un bulletin Marine Le Pen et un bulletin Marion Maréchal-Le Pen. Ils verront leur bras happé par la gueule d’un chien aveugle, ce sera horrible. Mais d’ici là, la médecine aura encore progressé.
Cette chronique est assurée en alternance par Christine Angot, Thomas Clerc, Camille Laurens et Sylvain Prudhomme.