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Libération
Chronique «Ecritures»

Errance romaine et doutes politiques, par Camille Laurens

Dans les Bouches-du-Rhône. (AFP)
publié le 14 avril 2017 à 19h46
(mis à jour le 18 avril 2017 à 10h45)

Le week-end dernier, j’étais à Rome. C’était le début de la Semaine Sainte, ce qui n’était pas la raison de mon voyage, croyez-le bien : le simple fait de mettre des majuscules à «semaine sainte» me hérisse, alors le Vatican, la pourpre, les nonnes à chaque coin d’église (entre parenthèses, ici la controverse sur le port du voile est tout de suite réglée, ce qui est un bon point pour tout le monde)… Non, ce qui m’a mis la puce à l’oreille, ce sont les rameaux de buis qui dépassaient des sacs à dos, au fil des rues, portés par des familles proprettes de touristes extatiques avec poussettes et polos nickel, comme si «la Manif pour tous» avait pris ses quartiers au cœur de la ville éternelle.

Dans ce contexte, cela m’a donné une joie maligne, je le confesse, d’apprendre que les amants de Pompéi étaient deux hommes - deux jeunes hommes de 18 et 20 ans sans lien de parenté, ainsi que l’a montré l’analyse de leur ADN. Je me demande ce qu’en pensent, dans leur for intérieur plus emmuraillé que Jéricho, les jeunes prêtres qui arpentent les rues flanqués de scouts boutonneux. Christine Boutin a dû faire un nouveau malaise, mais l’idée qu’on lève un coin du voile jeté sur l’hypocrisie me réjouit. A quelques jours du premier tour des élections, ne sommes-nous pas saturés de tartuffes et de faux jetons ?

Il faut dire que j'ai fait fort pendant ce séjour à Rome. L'Institut français m'avait logée dans ce qui m'a semblé d'abord une sorte d'auberge, mais l'odeur d'encens qui baignait le bâtiment, les pancartes indiquant la chapelle et l'heure des offices m'ont vite détrompée. Dans l'ascenseur qui me conduisait à ma chambre, je suis restée bouche bée devant le formulaire à remplir qu'on m'avait donné à l'accueil : «Quel est votre diocèse ?» me demandait-on. «Statut ecclésiastique ?» étais-je invitée à préciser. Mon visage devait refléter une perplexité confinant à l'idiotie car un prêtre identifiable à son seul col s'est penché vers moi avec un sourire bienveillant (je bouffe du curé depuis l'enfance, mais ça ne se voit pas, j'ai toujours eu l'air très catholique) et m'a dit en mobilisant toutes les ressources de son humour ou de son inconscient : «Vous avez des doutes, ma fille ?» Alors oui ! Des doutes, j'en ai. Moins religieux que politiques, mais sérieux, mon père. Et comme je ne crois pas aux miracles et ne vois aucun saint à qui me vouer, je rame. Le pape n'y pourra rien. Autrefois un bon François, marié à Dame pauvreté donnait son manteau et parlait aux oiseaux, nous on en a un qui cumule les costumes et nous prend pour des pigeons. Alors ? Emmanuel, vote utile ? Benoît, vote pur et dur ? Jean-Luc, vote tentation ? Jamais je n'ai eu aussi peu la foi. Seul le diable a encore un fond de réalité, quoiqu'il travaille à se dédiaboliser.

J'en reviendrais presque au bon vieux slogan de ma jeunesse, quand je défilais sous le drapeau noir avec Léo Ferré pour viatique : «Ni dieu ni maître.» Ou alors un maître au sens noble. Pas un chef comme au bureau, mais un maître comme à l'école. Car c'est un maître que nous cherchons, quoi qu'on en dise : quelqu'un qui sache ce qui est le mieux pour nous, et nous l'indique, et nous le transmette, et nous y mène. Nous le cherchons sans trop y croire parce qu'un maître doit être intègre, compétent, juste, parce qu'un maître doit posséder la maîtrise et non le goût de maîtriser, la volonté de puissance et non la passion du pouvoir. En outre, un maître ne doit pas avoir de chaînes, personne qui le domine ou le manipule. Un maître doit être libre. Voilà ce que je me disais en me promenant dans Rome, me surprenant à penser que je pourrais venir habiter là, si jamais… Oui, venir s'installer là, en Europe, sur une de ces terrasses dont la ville a le secret… Mais dans les musées, les tableaux cruels du Caravage et d'Artemisia Gentileschi, leurs visages cireux entre ombre et lumière me ramenaient toujours à la violence mortelle du monde. La photo des enfants syriens gazés en une de Libé, qui m'avait d'abord révulsée par son irréelle beauté, se superposait à eux et ne quittait plus mon esprit. Comment composer avec la tyrannie ? Poutine, mauvais maître. Là-dessus, aucun doute. Vérité révélée par l'horreur d'une image. Adieu donc, Mélenchon. Suivre le conseil du vote utile ? «J'ai toujours préféré la conscience à la consigne.» Exit Macron. Le doute n'était plus permis. J'étais à Rome dans un monde sans dieu mais pas sans monstres, et j'ai décidé de prêcher pour ma paroisse, de rester fidèle à la règle bénédictine.