Contrairement à bien des idées reçues, l’électorat âgé ne forme pas le cœur du vote en faveur du FN. Depuis 2002, les plus de 65 ans ont même constitué un «rempart» à l’accès du FN au pouvoir. En 2012, Marine Le Pen avait obtenu 11% du vote des plus de 60 ans, selon Opinion Way, pour un score global de 18,5%. Le «plafond de verre» freinant l’ascension du vote populiste n’est-il pas d’abord un «plafond gris» ?
A quelques jours de l’élection, et alors que quatre candidats peuvent encore espérer accéder au second tour, ce plafond gris va-t-il encore jouer ? A la lecture des intentions de vote réalisées par Ipsos (notamment l’enquête Ipsos-Cevipof, vague du 3 avril 2017), la candidate FN a peu progressé chez les retraités et les plus de 60 ans depuis 2012. Elle gagne en moyenne 1,5 à 4,5 points. Des gains bien moindres que ceux enregistrés dans d’autres catégories depuis 2012. Même si elle a pris ses distances avec son père, atténué ses menaces sur une sortie de l’euro, et plus généralement édulcoré son discours, les seniors restent dans leur grande majorité méfiants à son égard.
Il convient de souligner que les retraités d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux qui votaient en 2002, 2007, ou 2012. La génération des soixante-huitards prend par exemple de plus en plus d’importance, et peut se trouver séduite par la posture et le projet d’un Emmanuel Macron – deuxième candidat des retraités, derrière François Fillon – bien plus que par la prise de risque proposée par Marine Le Pen. Le vote des retraités n’est pas intangible, rappelons qu’ils ne penchent pas toujours au second tour pour le candidat vainqueur de la présidentielle : en 2007, les retraités avaient voté Sarkozy à 65% et seulement à 57% en 2012…
Pourtant, le clivage entre actifs et retraités persiste. Dans l’enquête Ipsos-Cevipof on note que plus de 28% des agriculteurs actifs voteraient FN, mais moins de 5% des retraités ; plus de 27% des indépendants actifs, contre environ 16% des retraités ; 18,6% des professions intermédiaires actives, et 14,8% des retraités ; 31,9% des employés actifs, et 21,9% des employés à la retraite. Ces écarts sont moins nets chez les ouvriers et les cadres : 39,1% des ouvriers actifs voteraient FN, contre 36,5% des retraités ; 12,9% des cadres actifs, contre 10,9% des retraités. Les premiers ont basculé vers le FN depuis longtemps, et les seconds y restent toujours très réticents. Si la question sociale reste un facteur majeur pour expliquer le vote FN, l’effet de génération ne peut être ignoré. Plus marqués par le tragique de l’histoire et moins enclins aux aventures économiques et budgétaires, protégés relativement de l’insécurité économique, les retraités privilégient des candidats favorables à l’Europe et relativement modérés.
Populismes de droite et de gauche
Second enseignement, qui a son importance, compte tenu de la configuration que prend l’élection présidentielle actuelle, le plafond gris ne vaut pas uniquement pour le Front national. Même si cela a été peu souligné en raison des scores assez faibles habituellement obtenus par l’extrême gauche, ce plafond gris concerne les populismes de droite comme de gauche, de manière quasiment identique. Déjà, en 2012, Jean-Luc Mélenchon n’avait séduit que 8% de cet électorat, contre 11% en moyenne. En 2012, l’addition des voix des candidats du Front national et du Front de gauche représentait, selon les estimations le jour du vote d’Opinion Way, 19% des voix des retraités et des personnes de plus de 60 ans. A l’inverse, le trio Hollande, Sarkozy, Bayrou, représentait 78% de leurs suffrages !
Aujourd’hui, alors qu’il atteint environ 20% d’intentions de vote, Mélenchon n’obtient pas plus de 12% des intentions de vote des retraités et des plus de 65 ans. Des scores encore plus bas que la candidate frontiste. On peut voir dans ces réticences à l’égard des deux principales offres populistes, les mêmes explications : un attachement plus grand à l’Europe et à ce qu’elle symbolise historiquement, un plus grand souci de stabilité, notamment économique et budgétaire et une angoisse de voir fondre son patrimoine, même s’il est majoritairement très modeste. Une inquiétude des seniors qui ne se limite pas à leurs propres intérêts mais qui touche aussi au futur du pays et donc à l’avenir des générations plus jeunes.
Mais si les retraités ne sont pas indispensables à la victoire (ayant voté massivement pour Nicolas Sarkozy au second tour en 2012), ils représentent cependant un segment important et croissant – entre 25 et 30% suivant les niveaux d’abstention – du corps électoral. Si, parmi toutes les configurations de second tour possibles, un duel Mélenchon-Le Pen venait à s’imposer, cet électorat se verrait contraint de choisir entre deux visions auxquelles moins de 30% d’entre eux, selon Ipsos, auront souscrit au premier tour. Si, en revanche, François Fillon venait à se qualifier pour le second tour, il le devrait en revanche en grande partie à cet électorat, qui représente au moins la moitié de ses électeurs potentiels.
Dernier ouvrage : La guerre des générations aura-t-elle lieu ?, de Serge Guérin et Pierre-Henri Tavoillot Calmann-Lévy, 2017.