Que capte-t-on de la Chine à New York en ce mois d’avril plus tiède qu’un juin parisien ? Des jours durant, la presse et les journaux télévisés n’ont résonné que de la visite de Xi Jinping à Mar-a-Lago, la résidence de Trump en Floride. Il n’était question que des craintes qu’éveille la Corée du Nord et de sa capacité à se doter d’une arme atomique qui menacerait les côtes des Etats-Unis. On ignore encore si le président américain est parvenu à convaincre son homologue chinois de neutraliser son voisin en agitant la carotte des relations commerciales. Mais cette question en appelle une autre : l’omniprésence du géant asiatique sur la scène mondiale. Comment interpréter les signes qu’il émet ?
En ce mois d'avril à New York, la Chine joue sur tous les registres, des écrans cinématographiques aux salles des musées, des affiches du métro aux auditoriums des universités, en touchant toutes sortes de publics avec plus ou moins d'impact. Dès février, The Great Wall («la Grande Muraille») de Zhang Yimou s'était glissé sur les écrans de Manhattan, pour démontrer que le sort du monde et de l'humanité n'est plus entre les mains des Occidentaux et qu'on a désormais tout à gagner à faire confiance à la Chine.
Dans les premiers jours d'avril, à peine le rideau tombait-il sur «Tales of our Time», la dernière exposition que le musée Guggenheim a consacrée à des œuvres chinoises, que le Metropolitan Museum ouvrait la sienne. Au Guggenheim, «Tales of our Time» nous rappelait que les artistes chinois travaillent au cœur de la création contemporaine. Ils ne cessent d'articuler la recherche de formes nouvelles avec l'efficacité d'un message qui s'applique autant à leur pays qu'à notre société contemporaine : comment traduire la tension du local et du global quand on l'observe depuis le versant chinois ? Que subsiste-t-il des racines autochtones dans une Chine qui se globalise ? Des installations comme Can't Help Myself resteront pour longtemps gravées dans la mémoire. Sun Yuan et Peng Yu ont conçu un gigantesque bras articulé qui nettoie inlassablement une mare rouge sang : au fur et à mesure qu'il accomplit sa tâche purificatrice, le robot projette le liquide sur les parois transparentes qui protègent les spectateurs de l'éclaboussement. Mais l'effacement des traces sanguinolentes ne fait que les étaler davantage. Esthetical correctness oblige, la réaction choquée des premiers visiteurs a contraint le musée à diluer le liquide pour atténuer la ressemblance avec le sang humain. Enjambant les siècles, l'exposition du Metropolitan Museum «Age of Empires : Chine Art of the Qin and Han Dynasties» a pris le relais. L'antiquité chinoise fourmille de pièces d'une qualité et d'une grâce sidérantes et les notices qui accompagnent les œuvres nous apprennent que les objets découverts dans les tombes se chiffrent par milliers. Quand on a traversé les salles grecques et romaines pour parvenir aux salles chinoises, on est vite envahi d'un sentiment étrange : que pèse notre antiquité classique face à celle que déploient les empires des Qin et des Han ? Pour la plupart d'entre nous, la Grèce et Rome sont déjà à des années-lumière alors que l'exposition du Met ne manque pas une occasion de tendre un pont entre l'antiquité chinoise et le présent : c'est l'émergence de la Chine unifiée qu'on est invité à contempler, preuves somptueuses à l'appui, sur fond de puissance militaire et d'expansion territoriale. A bon entendeur…
La Chine peut aussi se manifester de manière plus indirecte. De passage à New York, l'ex-présidente du Brésil Dilma Rousseff est venue expliquer aux étudiants de Columbia et de Princeton les raisons politiques qui ont conduit à son impeachment. Elle a dénoncé l'instauration d'un régime qui s'est engagé à rattraper les «années perdues» pour le néolibéralisme. Mais elle a esquivé la question qu'on lui posait sur la présence envahissante de la Chine en Amazonie et en Amérique du Sud. Elle s'est bornée à attaquer la politique de son successeur, Michel Temer, accusé de livrer le Brésil et ses ressources aux puissances étrangères. C'est oublier un peu vite que la Chine fascinante des empires Qin et Han ou puissamment créatrice du Guggenheim déploie aussi d'autres talents, moins désintéressés et moins séduisants, dans d'autres parties du monde comme l'Amazonie ou l'Afrique.
Ce silence ou cette dérobade nous renvoient aux débats de l'Hexagone. Valent-ils mieux que l'indifférence de nos candidats à l'élection présidentielle qui ne se sont guère interrogés sur l'ascendant que la Chine exerce désormais sur le destin de la planète ? La manière confuse et souvent désinformée de faire entrer l'Amérique latine dans la campagne est du même acabit. Elle confirme un manque consternant de perspectives planétaires. Faut-il y voir le signe d'un monde politique, toutes tendances confondues, incapable de regarder en face le XXIe siècle et d'affronter les défis d'un monde globalisé ?