Le premier tour de l'élection présidentielle a livré son verdict. Quinze ans après le 21 avril 2002, un nouveau séisme électoral, plus puissant encore, s'est produit. Quinze ans après son père, Marine Le Pen s'est qualifiée pour le second tour. La gauche socialiste en est éliminée, avec un score historiquement faible. Et, fait inédit sous la Ve République, la droite républicaine l'est aussi.
Au second tour, le choix est clair, et sans ambiguïté. Le combat contre l’extrême droite est un impératif catégorique. Même repolie et relookée, celle-ci reste un danger. La vision de la société qu’elle porte est toujours nauséabonde -fermée, xénophobe, violente. Son programme économique et social est mortel pour l’Europe et dangereux pour la France, notamment pour les plus faibles, qui souffriraient de l’inflation, de l’effondrement du pouvoir d’achat et de la confiance qu’il entraînerait. Le populisme est une imposture pour le peuple!
Face à elle, Emmanuel Macron porte désormais les couleurs de tous les démocrates. Il représente tous ceux qui dans notre pays sont attachés aux valeurs de la République -liberté, égalité, fraternité. Son devoir est de les rassembler et les entraîner. Il en a la capacité: son engagement européen ne fait aucun doute, son projet est progressiste. Son élection est indispensable, pour que la France puisse continuer à se moderniser, à susciter la confiance et à rester à la hauteur de son message universaliste. Il en va aussi de son image et son rayonnement dans le monde, comme de son rôle en Europe.
Un clivage gauche/droite réactualisé
Pour un électeur de gauche, le soutenir est un vote d’évidence et de conviction, s’y dérober est une indignité. Cela n’épuise pas le débat politique. Ce qui est en jeu dans ce scrutin, c’est aussi l’avenir de la gauche comme force politique et sociale, comme vecteur d’idée, comme vision de la société. Je suis conscient du puissant besoin de renouveau de la vie politique dont Emmanuel Macron a eu l’intuition, et qui s’est exprimé au premier tour. Mais je ne crois pas que notre paysage politique puisse et doive durablement se réorganiser autour d’une nouvelle tripartition, entre une droite durcie, faisant bloc avec le FN, une gauche mouvementiste et nationaliste, et un camp central, ou centriste. Le centre peut exercer le pouvoir, il a son identité, il est porteur de certains progrès, mais il ne peut prétendre représenter ou effacer toutes les sensibilités politiques. Je reste persuadé que le clivage gauche/ droite n’est pas périmé, même s’il a besoin d’être réactualisé, qu’il demeure au contraire essentiel et structurant.
La gauche de gouvernement, j’en ai la conviction, survivra à cette élection présidentielle. Parce qu’elle a toujours une utilité, une nécessité, celle du combat contre les inégalités et les injustices, toutes les inégalités et toutes les injustices, en France, en Europe, dans le monde, entre les hommes et les femmes. Une gauche forte, cohérente, digne, ancrée dans la réalité sociale, capable de porter la voix de ceux qui veulent organiser la mondialisation comme de ceux qui en sont exclus, qui refuse la main basse du Front national sur le vote populaire, est nécessaire à la respiration démocratique de notre pays.
Pour ce faire, il faudra sans doute refonder, dépasser, ressourcer la famille socialiste. Je ne suis pas adepte de la table rase: le socialisme démocratique a une histoire, il a des racines intellectuelles, politiques, sociales, il appartient à une des deux grandes formations européennes, le Parti socialiste européen, il aura j’en suis convaincu une postérité. Cela n’invite pas, bien au contraire, au conservatisme ou à l’immobilisme. Je souhaite que le Parti socialiste surmonte la terrible déception du faible score recueilli par Benoît Hamon, malgré un combat courageux, qu’il reste fort au Parlement, qu’il participe si la situation politique le permet ou le commande, à une coalition gouvernementale -on ne reconstruit pas sur des ruines, il faut une base solide pour rebondir. Mais, en l’état, soyons lucides: il ne porte plus assez l’espérance de la gauche.
L’imagination au pouvoir
Comment pourra-t-il y parvenir à nouveau? Il devra d’abord conjurer les trois risques mortels qui l’entourent et le condamneraient à la marginalisation, à l’image du PASOK grec: celui de la scission entre des gauches prétendument «irréconciliables», celui de la fusion dans un «parti de toute la gauche» piloté par Jean-Luc Mélenchon, qui tournerait le dos à la culture de responsabilité et à l’engagement européen, celui de l’absorption dans un grand courant central, qui affadirait ou écarterait ses idées. Il doit plutôt procéder à un travail de fond, trop longtemps différé, éviter les règlements de compte stériles qui suivent souvent les lendemains d’élection, refuser la paresse du repli sur soi et sur ses derniers bastions qui a perdu la SFIO, éviter de rêver à un retour du balancier qui, sauf métamorphose, ne reviendra pas automatiquement vers lui. Il faudra surtout, mener un grand débat d’idées, et s’en donner les moyens: prendre du temps, débattre sans préjugé ni clanisme, chercher des points d’accord stratégiques plutôt que des divergences tactiques, mettre sans tabou l’imagination au pouvoir et retrouver l’esprit de fraternité.
Après l’élection présidentielle, il sera temps, j’en suis persuadé, d’inventer un nouveau socialisme, une nouvelle social-démocratie. Un socialisme européen et écologique, un socialisme réformiste et radical, réaliste et utopiste, authentique et ouvert, fier de lui-même et rassembleur. Au lendemain d’une défaite aussi cruelle que celle du 23 avril -celle de Gaston Defferre en 1969- un nouveau Parti socialiste était né à Épinay, autour de François Mitterrand. Le défi qu’il doit affronter aujourd’hui est bien de la même ampleur: reconstruire une force de transformation capable de gouverner, aux niveaux local, national et européen. C’est ce qui nous attend dans les mois et les années qui viennent. Ce sera la tâche exigeante, passionnante, de ma génération et de celles qui la suivent.
Avant tout, renforçons la mobilisation du premier tour, car rien n’est joué. Il ne s’agit pas seulement de battre le Front national, mais de ramener son score au niveau le plus bas possible. C’est pourquoi aucune voix ne doit manquer à Emmanuel Macron pour une belle et large victoire le 7 mai.