Il n’a pas fallu plus de 4 minutes pour que
les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement adoptent à l’unanimité les
« orientations » des négociations du Brexit que le Français Michel
Barnier est chargé de mener à bon port du côté européen. Réunis samedi à
Bruxelles, sans la Grande-Bretagne bien sûr, lors d’un conseil européen
extraordinaire, les Vingt-sept ont confirmé leur détermination à rester uni
afin de ne pas permettre à Londres de jouer sur d’éventuelles divisions entre
les États membres pour obtenir un accord qui lui soit favorable. « Il n’y
a pas eu de négociations entre les Vingt-sept », a confirmé François
Hollande, pour son dernier sommet européen : « la négociation, elle
est entre l’Union et le Royaume-Uni », négociation au cours de laquelle « l’Europe
saura défendre ses intérêts ».
Cette unité, qui ne s’est pas démentie depuis
le référendum du 23 juin 2016, a désarçonné Theresa May, la Première ministre
britannique, qui a accusé, jeudi, les Vingt-sept de « s’unir contre son
pays » : « les négociations vont être difficiles »,
a-t-elle prévenu. Les Britanniques, après leur orgie souverainiste de l’année
dernière, commencent d’ailleurs à en prendre conscience : face au
ralentissement économique qui se confirme, ils sont désormais une majorité,
selon un sondage publié par le Times, jeudi, à regretter leur choix, une
première (45 % contre 43 %). Surtout, 39 % contre 28 % pensent que leur pays
sera dans une moins bonne situation économique hors de l’UE et 36 % contre 19 %
estiment qu’il aura moins d’influence dans le monde…
De fait, « il n’y aura pas de Brexit
gratuit : quand on prend une décision, il faut en assumer les
conséquences », a souligné le Premier ministre belge, Charles Michel. En
clair, il n’est pas question « qu’un pays non membre de l’Union, qui n’a
pas à respecter les mêmes obligations qu’un État membre (puisse) avoir les mêmes
droits et bénéficier des mêmes avantages qu’un État membre », comme le
martèle le texte du Conseil européen. « Peut-être pensez-vous que tout
ceci est évident », mais « j’ai le sentiment que certains en Grande-Bretagne se font
encore des illusions à ce sujet », a ironisé devant le Bundestag, jeudi,
Angela Merkel, la chancelière allemande. Ce n’est pas un hasard s’il a fallu 9
mois à Londres avant d’activer, le 29 mars dernier, l’article 50 du traité
européen qui enclenche la procédure de sortie de l’Union. Et, encore
aujourd’hui, on ne sait pas exactement ce qu’espère obtenir Londres.
Du côté européen, la position est d’une clarté
cristalline. Le Royaume-Uni n’aura pas accès au marché unique – notamment pour
ses banques - puisqu’il refuse d’appliquer l’une des quatre libertés, la libre
circulation des personnes. Au mieux, elle ne peut donc qu’espérer un accord de
libre-échange qui sera négocié après sa sortie effective, le 29 mars 2019 à
minuit, qu’il y ait ou non un accord sur les conditions de son départ (une hypothèse
envisagée froidement par les Vingt-sept). Londres qui espérait mener de front
les deux négociations en est pour ses frais, même s’il est entendu qu’il faudra
se mettre d’accord avant sa sortie effective sur « une conception
d’ensemble » du « cadre des relations futures ». Mais ce futur
accord commercial, préviennent les Vingt-sept, devra assurer des
« conditions équitables » en matière de concurrence et d’aides d’État
et « comprendre des garanties contre des avantages compétitifs indus du
fait, notamment, de mesures et de pratiques fiscales, sociales,
environnementales et réglementaires ». Autrement dit, si Londres compte se
transformer en plate-forme offshore, il n’y aura aucun accord de libre-échange…
La négociation se déroulera en plusieurs
phases. Les Vingt-sept veulent prioritairement régler trois dossiers. D’abord, la
protection des droits des trois millions de citoyens européens résidant
actuellement en Grande-Bretagne, ceux-ci ne pouvant servir de monnaie d’échange
comme le voudraient les durs du gouvernement de Theresa May. Ensuite le
règlement financier, Londres devant honorer l’ensemble des engagements qu’elle
a contracté dans le cadre de la programmation budgétaire européenne qui s’étale
bien au-delà de 2019 (par exemple la retraite de ses fonctionnaires et députés
européens). Aucun chiffre n’a été officiellement avancé, mais l’estimation la
plus couramment avancée est de 60 milliards d’euros. Une facture salée que la
Grande-Bretagne n’entend pas honorer, ce qui risque de faire capoter les
négociations et donner lieu à un contentieux international dont elle ne sortira
pas vainqueur. Enfin, il faut trouver une solution pour ne pas rétablir une
frontière physique entre les deux Irlande afin de ne pas faire capoter l’accord
de paix de 1998.
C’est seulement ensuite que les autres
dossiers particulièrement complexes, puisqu’il faut rompre les liens entre le
droit européen et le droit britannique sans que les entreprises n’en souffrent
trop, seront abordés, en particulier l’avenir des relations entre les deux
rives de la Manche. En attendant, l’Union rappelle à Londres qu’elle ne peut
pas négocier des accords commerciaux avant sa sortie effective et qu’il est
hors de question qu’elle prenne en otage les textes européens en cours de
discussion entre les Vingt-huit.
Dès la fin de l’année, les Vingt-sept vont
essayer de se mettre d’accord sur les villes qui accueilleront l’Agence
européenne du médicament (900 employés) et l’Autorité bancaire européenne (170
personnes), actuellement basées à Londres, dont les frais de déménagement
devront être réglés par la Grande-Bretagne. Le plus beau est que la presse
europhobe, qui ne doute de rien, a hurlé en découvrant que ces deux agences
allaient quitter le territoire britannique…
Les négociations effectives en Bruxelles et
Londres ne débuteront qu’après les élections législatives anticipées du 8 juin
convoquées par Theresa May, celle-ci voulant avoir les mains libres pour
parvenir à un accord. Parallèlement, les Vingt-sept vont devoir s’entendre sur
la façon dont sera comblé le trou laissé dans le budget communautaire par le
départ du Royaume-Uni. La négociation s’annonce violente entre ceux qui
voudront dépenser moins et ceux qui voudront continuer à toucher les mêmes
aides…