Mis à jour le 12 mai
Au Louvre, dimanche soir, c'est au son de
l'hymne européen que le Président élu, Emmanuel Macron, a marché vers la
tribune d'où il a prononcé son discours de victoire. Le symbole n'a échappé à
personne, et surtout pas aux europhobes du Front national qui n'ont pas manqué
d'éructer parce que la Marseillaise n'a été jouée qu'à l'issue de cette
cérémonie. Il confirme à quel point l'Europe a occupé une place centrale dans
la campagne du leader d'En Marche, une première dans l'histoire de la Vème
République où les thèmes de politique intérieure occulte habituellement totalement
la politique européenne. « Emmanuel Macron a mené
une campagne pro-européenne courageuse, il défend l'ouverture sur le monde et
est résolument pour l'économie sociale de marché », n'a d'ailleurs pas
manqué de se féliciter, lundi, Angela Merkel, la chancelière allemande, à
l'unisson de tous les dirigeants européens. Réduire cette élection à un vote
anti-Front national, ce qu'il fut aussi, serait une erreur : c'était aussi
un plébiscite en faveur d'une France européenne.
Emmanuel Macron tranchait, dès le départ, sur
ses adversaires : il était le seul des onze candidats du premier tour à
être résolument pro-européen et à n’avoir jamais voté (ou appelé à voter) contre
un traité européen, à la différence notamment de François Fillon (contre
Maastricht) ou de Benoit Hamon (contre le Traité constitutionnel européen). Dans
tous ses meetings, ses partisans étaient encouragés à brandir des drapeaux
européens et Macron faisait acclamer l’Europe, du jamais vu depuis la campagne des
Européennes de 2009 menée par Daniel Cohn-Bendit, alors tête de liste de Europe
Ecologie-Les Verts, qui avait amené au plus haut les écologistes en faisant de
l’engagement fédéraliste le thème central de sa campagne.
Cet affichage pro-européen, que les pisses-froids
jugeaient dangereux, n’a pas empêché Macron, bien au contraire, d’arriver en
tête du premier tour. Pendant la campagne d’entre deux tours, loin de mettre
son drapeau aux douze étoiles jaunes dans la poche, il l’a au contraire brandi
encore plus haut, pour mieux se distinguer de son adversaire europhobe, Marine
Le Pen. Avec le succès que l’on a vu. « Qui pouvait imaginer que
l’argument européen permettrait de gagner ? », s’est exclamée, dimanche
soir, presque étonnée, Aurore Bergé, une élue LR engagée au côté de Macron.
Cette fois, les électeurs avaient le choix
entre deux modèles très clairs, à la différence du référendum de 2005 sur
le traité constitutionnel européen où le vote négatif était présenté comme sans
conséquence. D’un côté une France isolée, fermée, frileuse, identitaire, de l’autre
une France européenne, ouverte sur le monde, accueillante, tolérante. Bien sûr,
se jouait aussi l’avenir de la démocratie et de la République, mais
l’entreprise de dédiabolisation que le FN a menée depuis dix ans a
incroyablement minimisé ce danger, d’autant que la gauche mélenchoniste a
réussi l’exploit de renvoyer dos à dos fascisme et libéralisme dans un
incroyable contresens historique (car si le libéralisme admet le pluralisme, ce
n’est pas le cas du fascisme, faut-il le rappeler). D’ailleurs, une petite moitié de la gauche radicale s’est abstenue ou a voté Le Pen, tout comme une partie de l’électorat de droite, ce qui montre bien que la peur du FN n’est pas la seule clef du scrutin.
Les citoyens ont tranché sans ambiguïté :
ils ne veulent pas dans leur immense majorité d’un Frexit, confirmant ainsi les
sondages qui montrent que plus de 70 % des Français sont attachés à l’euro et à
l’Union. Le score de Le Pen n’atteint d’ailleurs pas les 34 %, confirmant la
justesse de ces enquêtes d’opinion. Si Jean-Luc Mélenchon, qui a l’europhobie
en partage avec le FN (même si elle plus discrète), avait été qualifié pour le
second tour face à Macron, le résultat aurait sans doute été le même, n’en
déplaise à ses lieutenants.
Les extrêmes ont d’ailleurs pris conscience du
plafond de verre infranchissable que constituait leur europhobie. Ainsi, Mélenchon,
dans la dernière ligne droite de sa campagne, a modifié son discours jurant
qu’on l’avait mal compris, qu’il n’était nullement en faveur d’un Frexit.
Marine Le Pen a fait de même, se livrant, lors du week-end du 1er
mai, à un incroyable virage sur l’aile : en fait, l’euro n’était plus
incompatible avec son programme économique et donc la sortie n’était plus
prioritaire, elle serait négociée, l’euro resterait en vigueur pour les grandes
entreprises, le franc serait accroché à l’euro, etc.
Ces danses de Saint Guy autour de l’Europe n’ont
servi à rien : Mélenchon a perdu dès le premier tour, Marine Le Pen au
second. Et le triomphe du plus européen des candidats, celui en qui tous les
commentateurs voyaient une bulle prête à éclater le confirme. Les Français ont
massivement (c’est l’un des présidents les mieux élus de la Ve République)
rejeté le Frexit qui, ils l’ont bien compris, était un saut dans le vide.
D'ailleurs, le député Gilbert Collard, patron du Rassemblement bleu marine, le reconnait dans le Parisien du 11 mai: «pour nous, la question de l'euro, c'est terminé, le peuple a fait son référendum dimanche dernier, Marine doit entendre ce message». Florian Philippot, le numéro 2 du parti et promoteur de la ligne souverainiste, lui a aussitôt rétorqué, sur RMC, qu'il quitterait le parti «si le Front demain garde l'euro». Une ligne dure qui ressemble fort à une impasse. Car la question européenne est tranchée en France et bien tranchée.