Questions à Ismaël Maazaz, doctorant en deuxième
année d’études africaines au Centre of
African Studies d’Edimbourg et administrateur-chercheur associé au sein de
l’Institut Français de Recherche en Afrique (CNRS/MAEDI) de Ibadan, au Nigéria.
Il travaille notamment sur les usages de ressources naturelles dans les espaces
publics au Tchad. Que
sont les “Places à vivre” de N’Djamena, au Tchad ?
Il s’agit d’un réseau de places publiques aménagées dans plusieurs
quartiers de la ville de N’Djamena où se concentrent des activités économiques
et sociales incluant des aires de jeu, des commerces ou des espaces
associatifs. Gérées par des associations de quartiers regroupées dans des
Groupes de Développement Locaux (GDL), elles se sont développées depuis les années
2000 et visent à redynamiser les quartiers de N’Djamena et contribuer à
l’amélioration du « vivre-ensemble ».
Certaines de ces places ont bénéficié d’un programme de réaménagement à
l’initiative de l’Institut Français du Tchad (IFT) via des financements de
l’Agence Française de développement (AFD), en partenariat avec la mairie et des
associations locales. La place à vivre de Chagoua, dans le sud de la ville, a
particulièrement attiré l’attention ces dernières années. Les financements ont
permis la requalification de l’espace autour de la problématique de l’accès à
l’eau. Un système de borne-fontaine a été mis en place permettant la
distribution d’eau à usage domestique et professionnel dans les quartiers.
Quels ont été les résultats de
ce projet ?
La
popularité de ces places varie grandement en fonction du quartier. Par exemple,
la place de Chagoua et la maison de quartier située à proximité sont souvent fréquentées
par les riverains, les ONGs et acteurs du secteur associatif. Des réunions de
riverains, des évènements artistiques et culturels y ont lieu. Plus simplement,
d'assidus joueurs de scrabble, des clients de coiffeur ou des usagers des
centres sociaux s'y croisent au quotidien. La requalification de la place de
Chagoua en point d'eau urbain est également un aspect intéressant. Cette
requalification revisite l'imaginaire rural où la « source » figure
comme lieu de carrefour et de rencontres. La popularité de cet espace tient
sans doute à la combinaison entre une fonction pratique liée au besoin d'accès à l'eau dans une zone non
desservie par la société tchadienne des eaux (STE) et un rôle plus social et
politique consistant à inciter les riverains à réinvestir l'espace public.
A l’inverse,
les Places à vivre de Walia ou de N’Djari font face à des difficultés de fonctionnement
et à une sociologie locale qui les rendent moins populaires. L’un des
principaux problèmes que ces places peuvent rencontrer renvoie à
l’instrumentalisation des initiatives. Des responsables associatifs témoignent
de tentatives de réappropriation des Places à vivre par des figures politiques
locales. Comme dans le cadre de tout projet de développement, les Places à
vivre entrent également dans la politique de visibilité des bailleurs
internationaux, ce qui pourrait laisser craindre le délaissement des actions et
aménagements pérennes au profit d’opérations de communication éphémères. Plus
prosaïquement, les possibilités de financement de l’initiative déjà limités se
réduisent suite à la crise économique, de la réticence des bailleurs à s’engager
au Tchad dans un contexte sécuritaire difficile et la fin du Projet Liaison
Urbaines de l’IFT. Faute de moyens alloués par les pouvoirs publics ou les partenaires
étrangers, les Places à vivre ont toutes les chances de tomber à l’abandon ou d’être
réduites à l’état de vitrines-témoignages à l’avenir.
Sur la place à vivre de Chagoua (Mai 2016). Photographie d’Ismaël Maazaz ©.
Que disent ces Places à vivre de l’histoire du Tchad?
Depuis son indépendance,
le Tchad a connu des périodes de guerres civiles entre 1965 et 1979, et entre
2005 et 2010 ; plusieurs conflits interétatiques, avec la Libye et le
Soudan, ont également eu lieu. Ces conflits ont marqué l’ensemble du pays et
renforcé certains clivages communautaires et spatiaux sur le territoire. La
ville de N’Djamena a elle-même subie plusieurs sièges et batailles, et a vu
l’arrivé de réfugiés en provenance des quatre coins du pays. Elle a
partiellement reproduit en son sein les divisions apparues sur le territoire
national. Même si la dimension religieuse et communautaire de ces divisions est
souvent exagérée ou mal interprétée, l’expérience contrastée des Places à vivre
N’Djamenoises recoupe en partie la distinction entre quartiers Nord à majorité
musulmane et quartiers Sud à dominante chrétienne. Les Places à vivre dans les
quartiers Sud, et notamment dans celui de Chagoua, semblent bénéficier d’une
meilleure popularité qui reflète le nombre plus important de lieux de
sociabilité dans la zone. Cela dit, il faut encore une fois se méfier d’une
vision trop simpliste de cette « fracture Nord/Sud » tant au niveau
municipal que national, puisqu’elle suscite beaucoup de fantasmes qui ne
traduisent pas nécessairement la diversité des sociologies et des mobilités
locales.
Quoi qu’il en soit, les Places à vivre pourraient s’inscrire dans une
tentative de revitalisation des quartiers populaires et de réconciliation au
sein d’une ville marquée par une histoire conflictuelle et en proie à des défis
considérables. La ville de N’Djamena compte un nombre relativement réduit
d’espaces publics accueillant les citadins dans leur diversité et invitant à
l’activité et à la parole. La méfiance entre communautés éloignées par un passé
belliqueux contribue parfois à une réticence à investir des lieux
« intersectoriels ». Il reste à espérer que d’autres initiatives de
ce type bénéficient de soutien à l’avenir.
Pour en savoir plus :
- projet Liaison urbaine sur le site de l'IFT
- livret compte-rendu du programme : Coudert, G. (Ed.). (2016). Liaisons urbaines -
Transformation d'espaces publics de villes africaines. Paris: A.P.R.E.S
éditions.