Depuis une vingtaine
d’années, de plus en plus de documents ayant trait au passé africain se
retrouvent en ligne. Cette avancée pour l’étude de l’histoire du continent a de
quoi en réjouir plus d’un ; non seulement, elle prouve que les technologies de
l’information peuvent apporter un plus au continent africain, mais elles révèlent
la richesse du passé du continent pour tous les pessimistes qui pensent que l’
« homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».
Ces quelques
exemples montrent le succès de cette initiative. Pionnière dans le domaine, l'université
de Michigan et son projet Matrix montre comment
de nombreux chercheurs peuvent maintenant se pencher sur des documents tout en
restant derrière leurs écrans d'ordinateurs. Certains manuscrits de Tombouctou
ont ainsi été numérisés alors que la British
Library se livre à un projet de mise en ligne d'archives en danger auquel les
auteurs de ce blog ont directement participé à Madagascar. Les archives de France
ont elles un programme de coopération technique avec l'ancien empire colonial français pour leur « mémoire partagée ». Tout ceci peut évidemment créer des
vocations et montrer à quel point l'étude de l'histoire de l'Afrique a de beaux
jours devant elle.
Les historiens ne
sont pas les seuls à se réjouir. Les défendeurs de la bonne gouvernance y
trouvent aussi un intérêt. En effet, la numérisation de cartes ou cadastres sert
directement au fonctionnement des ministères ou dans des conflits juridiques
entre États comme en témoignent les documents soumis à la Cour Internationale
de Justice. Du point de vue politique, ces documents peuvent aussi servir à apaiser
d’une certaine manière la mémoire nationale comme dans le cas des archives de
Nelson Mandela. Le progrès
technologique serait donc à l’origine d’avancées politiques, sociales
et historiques.
Ce récit très optimiste
pose pourtant des problèmes. En effet, les documents disponibles en ligne ne
sont en fait qu’un maigre échantillon des rayons de documents conservés dans
les archives. D’ailleurs, ces derniers ont tendance à être les plus « célèbres »
aujourd’hui ce qui ne veut pas dire que dans cinquante ans les historiens
auront d’autres centres d’intérêt. Enfin, ces documents se trouvent souvent
dans les archives nationales des pays africains concernés, ce qui veut dire que
les plus petits centres d’archives publiques et privées sont délaissés ce qui
potentiellement peut avoir un effet déformant sur la recherche.
Outre le problème
historique, cette numérisation en masse pose aussi des problèmes d’accès. De
nombreux Africains ne disposent pas d’une connexion Internet suffisante pour
visionner ces documents. Tous les Africains n’ont pas accès aux débits Internet
des villes du Kenya ou du Ghana. De plus à qui appartiennent ces documents
vraiment ? De nombreux pays africains ne disposent pas d’un cadre légal
mis à jour pour tenir en compte de l’évolution technologique de ces vingt dernières
années. Des questions de souveraineté se posent donc quand des chercheurs
non-africains numérisent en masse des documents et les déposent sur des serveurs
en Amérique ou en Europe. Ce phénomène a ainsi poussé l’historien Keith
Breckenridge à parler d’ « impérialisme
numérique ». Le débat sur les
effets de numérisation de masse dépasse donc largement le cadre de l'archivistique
ou de l'histoire. Il s'agit d'un débat éminemment politique sur la place du numérique
dans nos sociétés et du prix réel que nous sommes prêts à payer pour avoir accès
aux documents en ligne. Si en tant qu'utilisateur, archiviste ou historien vous
voulez contribuer au débat scientifique sur le sujet, n'hésitez pas à répondre à
cet
appel à contributions.
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