L’interprétation dominante du succès de LREM (32 %, projections livrant une majorité) est bien établie : ces législatives seraient la confirmation de la présidentielle, décernant au nouveau président de la République une large majorité lui permettant de mener son action. D’autre font valoir la force du «dégagisme» ou bien encore l’effet de levier de notre mode de scrutin.
Ces analyses ne sont pas fausses, mais elles paraissent insuffisantes pour prendre la mesure de la situation exceptionnelle actuelle. En réalité, ce scrutin n’est pas réductible à une question électorale : il s’inscrit dans l’histoire longue de la France.
Pour une large part des électeurs LREM, ces élections législatives apparaissent comme un moment de réinitialisation, de régénération collective d’un imaginaire politique, d’un avenir nouveau. A la manière dont, lors des moments sombres ou difficiles de son histoire, la France a vu une partie de ses citoyens souhaiter faire du passé table rase pour proclamer la possibilité de temps nouveaux (1945, 1958, 1968, 1981).
De cette ambition, le «dégagisme» n’est que la première pierre. La volonté d’installer une nouvelle génération au pouvoir, conduisant à mettre à terre les ténors d’hier. Les scores obtenus par les candidats LREM sont souvent considérables, proches de 40 %, et vont bien au-delà, en faveur de personnalités souvent peu connues, d’une simple mutation des rapports de forces (Mounir Mahjoubi 38 % face à Jean-Christophe Cambadélis 9 %, Bruno Bonnel 37 % face à Najat Vallaud-Belkacem 17 %, Gilles Le Gendre 42 % face à Nathalie Kosciusko-Morizet 18 %, Olivia Grégoire 47 % face à Philippe Goujon 30 %, etc.).
La deuxième pierre de cette vision nouvelle est un sentiment de fierté nationale retrouvée : 70 % des Français estiment qu'Emmanuel Macron améliore l'image de la France dans le monde (données Ipsos pour France Télévisions). Elle se prolonge en une part de confiance et d'optimisme retrouvés : le moral des dirigeants d'entreprise s'est massivement amélioré, ainsi que celui des cadres (baromètre Viavoice-HEC-l'Express-BFM Business). Ces résultats sont particulièrement frappants après des années de défiance et de pessimisme français, y compris auprès d'une partie des dirigeants d'entreprise et des cadres.
Le troisième élément concerne l'imaginaire de possibles progressions personnelles au sein de la société : Macron lui-même, son parcours, semble attester de la possibilité d'évoluer en deux années du statut d'homme relativement méconnu à celui de chef de l'Etat. Une partie de ses ministres également, ainsi qu'une large part des candidats aux législatives. Cet idéal de mobilité entre en résonance avec le projet du nouveau président, qui entend déverrouiller le pays pour offrir des opportunités nouvelles à ceux qui le peuvent et le souhaitent. Enfin, notamment lors du discours qu'il a tenu au soir de sa victoire, Macron a articulé cet idéal de la grande histoire de France, celle des Lumières et du progrès. Dès lors, les ambitions de chacun peuvent entrer en résonance avec l'histoire collective. Un pays qui peut se remettre en mouvement et retrouver un imaginaire partagé. L'étrange expression utilisée par Edouard Philippe au soir du premier tour les législatives («La France est de retour») s'entend également de cette manière, individuelle et collective.
Ces législatives ne sauraient être réduites à un séisme politique. C’est en réalité une partie de la France qui entend, comme à plusieurs grandes heures de son histoire, se réinventer. Une ambition ô combien française, un moteur de notre identité collective.
Toute la France ? Non, bien entendu. Et ce sera l’enjeu majeur des mois qui viennent. Car non seulement une large part de notre France fragmentée ne souscrit pas majoritairement à ce nouvel idéal français, mais elle s’y oppose volontiers, valeurs contre valeurs.
Ce qui s’ouvre n’est pas une nouvelle histoire politique. C’est une concurrence des récits pour la France, de ses imaginaires, de ses devenirs. Un combat d’une vieille nature, que la France connaît depuis 1789. Ces grands épisodes ont souvent conduit à des désenchantements ou des conflits. Mais c’est probablement ainsi que la France avance.