Terrible feuilleton que celui de Tati, de sa lente agonie et de son attente d'un éventuel repreneur. Avec, dans le rôle des victimes pas moins de 1700 salariés plongés dans l'incertitude sur l'avenir de leur emploi, ballottés d'information en information, de décisions judiciaires en décisions judiciaires.
Ce feuilleton c’est aussi celui d’une cécité française, qui a empêché toute mutation du secteur vers de nouvelles pistes d’activités, au détriment de l’emploi. Il n’est pas inutile de rappeler que cette situation dramatique pour les salariés est d’abord un effet de la loi Travail, dite El Khomri. Si on s’attarde sur son 41e article, qui porte sur le transfert d’activité, on se rend vite compte qu’il permet à une entreprise cédante d’organiser un plan social en amont de la vente, pour mieux valoriser la cession, ce que le droit ne permettait pas jusqu’alors. Un scandale qui s’ajoute aux millions d’euros dont le groupe Agora Distribution, propriétaire de Tati, a bénéficié sous la forme de crédits d’impôts (CICE). Depuis sa mise en place, ce sont 20 milliards d’euros par an qui ont été octroyés à de très nombreuses entreprises dont le groupe Agora (et cela sans aucune contrepartie !) un non-sens encore plus criant aujourd’hui.
Non seulement des emplois risquent de disparaître, mais cette politique a maintenu ces entreprises dans un état de rente confortable, retardant leur transformation pourtant nécessaire. C'est vrai de Tati et c'est vrai aussi de tous les acteurs de ce secteur, comme Vivarté (André, Minelli, Kookaï, Chevignon, La Halle…), qui connaissent tous de très graves difficultés.
Ces dernières années en effet, ils ont vu leur modèle économique sérieusement mis à mal par la dématérialisation de la distribution, avec l’explosion d’Internet, et les nouvelles attentes des consommateurs. Et puis, soyons clairs, ce modèle de production et de ventes d’objets à bas coûts ne peut plus perdurer en l’état. Les conditions de travail dans les usines y sont catastrophiques. Beaucoup de celles et ceux qui y travaillent y risquent leur vie. On se souvient de l’horreur du Rana Plaza le 24 avril 2013, dont l’effondrement a causé la mort de plus de 1100 personnes. Ces morts sont devenus les visages d’une mondialisation prédatrice et sans limite.
1700 emplois en jeu
A ces drames humains, il faut ajouter les conséquences environnementales, d’une utilisation abusive de produits chimiques et de moyens de transport extrêmement polluants pour l’acheminement des marchandises sur le continent européen. Au 21e siècle nous ne pouvons plus accepter qu’il y ait des damnés de la mondialisation, comme nous ne pouvons plus accepter que des zones entières soient polluées du fait de productions industrielles destinées à la consommation de quelques-uns. Il est temps de sortir de ce modèle de produits à bas coûts qui s’auto-alimente sur le dos des plus faibles, aussi bien à l’étranger que sur notre territoire. Car ne nous y trompons pas, ce modèle est coûteux à moyen et long terme pour les consommateurs eux-mêmes. Avec les produits à petit prix, on opte en effet pour une moindre qualité et donc un rachat plus rapide pour cause de casse ou d’obsolescence.
Tout cela constitue autant de bonnes raisons d’inciter les acteurs du secteur à changer de modèle. Mais pour cela, en lieu et place «d’allégements de charges» sans contrepartie, qui maintiennent sous perfusion des rentes commerciales et d’empêcher toute forme de mutation, les pouvoirs publics doivent proposer une vraie stratégie. La nouvelle donne technologique et les attentes actuelles des consommateurs, qui attendent des produits de qualité, locaux et éthiques, nous obligent à explorer de nouvelles façons de penser la production et la distribution des biens courants.
Trois pistes peuvent se dessiner. D’abord, en faisant respecter une politique du «juste prix». Si des producteurs peuvent vendre à si bas coûts, c’est parce qu’ils ne payent pas tous les coûts. L’adoption d’une loi, grâce aux député-es écologistes, obligeant les multinationales à renforcer leurs mesures de prévention tout au long de la chaîne de production, sous peine de sanctions, est un premier pas. Il faut aller plus loin, en surtaxant les produits qui ne respectent pas des critères environnementaux et sociaux. Ensuite, en favorisant massivement la relocalisation de la production, pour diminuer les prix de vente aux consommateurs finaux de ces produits «made in local». Enfin en investissant dans l’économie circulaire, qui permet une seconde – voire une troisième ou une quatrième - vie des produits. Cette économie est rentable, écologique et génère de nombreux emplois qualifiés non délocalisables.
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