Dernière terre de l’empire colonial français en Afrique continentale, Djibouti n’a obtenu son indépendance qu’en 1977, soit près de deux décennies après les processus qui ont conduit à l’indépendance en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale et à Madagascar. Pourtant, ce n’est pas faute d’un débat politique, fort vivace dans cet enclave française autour de la question de l’indépendance. Trop vivace, peut-être.
C'est en 1862 sous le Second Empire que les Français obtiennent du sultan de Tadjoura - en réalité que les Français achètent - «les ports, rade et mouillage d'Obock situés près du Cap Ras Bir avec la plaine qui s'étend depuis Ras Aly au sud jusqu'à Ras Doumeirah au nord». Il faut toutefois attendre deux décennies pour qu'un semblant d'administration coloniale se mette en place, et une décennie de plus pour que Djibouti devienne le point d'équilibre de ce territoire (1862-1893). Le territoire d'Obock cède alors la place à la colonie de la Côte française des Somalis (CFS). A cette colonisation lente, aux dérives décrites et dénoncées par Henri de Monfreid au début du XXe siècle, s'oppose au contraire une décolonisation quasi-impossible, dont la France ne semblait pas vouloir tant que Foccart, le «Monsieur Afrique» du général de Gaulle et de Georges Pompidou, était aux affaires (1958-1974). Djibouti, place forte stratégique et militaire de la France en Afrique de l'Est et aux portes de la Mer rouge, reste jalousement gardée dans le périmètre français. Elle est la place forte militaire de la France, avec ses légionnaires et sa base aérienne, ouverte sur le Golfe.
En juillet 1966, la colère monte et des voix réclament l'indépendance. En août 1966, sur la route de son tour du monde (rendu célèbre par le discours de Phnom Penh puis sa tournée «atomique» dans le Pacifique), de Gaulle fait une escale à Djibouti. L'administration civile et militaire considérant la visite comme un succès acquis d'avance, chacun a pu prendre ses sacro-saintes vacances d'été sans trop de soucier des détails de l'organisation. C'est ainsi que le gouverneur Tirant, le secrétaire général et le directeur de la Sûreté partent l'esprit serein profiter de leurs vacances. Grand mal leur en a pris: le 26 août 1966, c'est un véritable gifle politique qu'assènent les Djiboutiens à de Gaulle en guise de vivats. En réalité, un front commun s'est constitué, par tant sur des mots d'ordre indépendantistes que sur une fronde contre l'homme fort du territoire : Ali Aref Bourham, vice-président du Conseil du TOM qu'est la Côte française des Somalis. De l'aveu de Foccart dans ses entretiens avec Philippe Gaillard, l'agitation est «spectaculaire» (soutenue par les Somaliens selon lui). Il se voit même répliquer par le sénateur Kamil : «A tout prendre, Monsieur Foccart, je préfère être pendu par les Somaliens que de vivre sous la tyrannie d'Aref et de Tirant.»
Prenant la parole à l'Assemblée, de Gaulle tâche de reprendre la main et, un peu comme en août 1958 avec les épisodes guinéen et sénégalais de sa tournée africaine, s'exclame : «Les pancartes, que nous avons pu lire, et les agitations de ceux qui les portaient, ne suffisent certainement pas à manifester la volonté démocratique du territoire français d'ici. Il est possible, qu'un jour vienne où par la voie démocratique, le territoire exprime un avis différent de celui qu'il exprima jusqu'à présent.»
En septembre 1966, le gouvernement français annonce l'organisation d'un référendum qui se tient en mars 1967. Mais un référendum que la France n'entend pas perdre. Une large majorité se dégage en faveur du maintien au sein de la République française en qualité de TOM (un peu plus de 60 % des suffrages). La CFS est rebaptisée Territoire français des Afars et des Issas (TFAI). En réalité, rien n'a été laissé au hasard : Ali Aref a fait une active campagne en faveur du «oui». Foccart, quant à lui, dispose de ses yeux et ses oreilles sur le terrain : à l'été 1966, le colonel Laparra, son conseiller militaire au sein du secrétariat général des Affaires africaines et malgaches est nommé chef d'état-major du général commandant les forces de Djibouti ; la relation entre Foccart et Laparra reste étroite et confiante, traçant une ligne directe entre Paris et Djibouti, au coeur de la Corne de l'Afrique.
L'indépendance, sans Ali Aref : voici le nouveau scénario qui se dessinée fin 1975 dans l'esprit d'Olivier Stirn, secrétaire d'Etat aux DOM-TOM. Ce dernier observe que les nationalistes somalis sont de plus en plus déterminés, quitte à verser dans l'action terroriste comme le fait le Front de libération de la Côte des Somalis (FLCS), comme lors de la prise d'otage de l'ambassadeur de France à Modagiscio, en mars 1975, ou l'attaque d'un autocar en février 1976. L'escalade de la violence, avec la riposte française (notamment conduite par les légionnaires), est en marche. Parallèlement, les indépendantistes ont noué des contacts avec différents intermédiaires djiboutiens et français (dont Messmer) pour faire avancer leur thèse. En outre, Paris considère que les Afars radicalisent leur opposition politique contre Ali Aref. C'est sur cette analyse des tensions dans le TFAI que Stirn propose une nouvelle ligne. L'indépendance sans Ali Aref ! Une proposition que refuse Journiac... mais qu'accepte, finalement, Giscard.
Le conseil des ministres du 28 décembre 1975 reconnaît le droit à l'indépendance des TFAI - quelques semaines après l'indépendance (incomplète) des Comores. Camille d'Ornano, le haut-commissaire chargé de préparer l'indépendance, adopte une ligne hostile à Ali Aref. Ce dernier est de plus en plus isolé au sein du territoire djiboutien, tandis que l'opposition s'organise hors des frontières. Mis en minorité à l'Assemblée territoriale, il est définitivement mis à l'écart en juillet 1976 : il est condamné à démissionner puis est exilé. Mohammed Khamil et Hassan Gouled prennent en charge la marche à l'indépendance. Mohammed Khamil assure la transition, composant avec Hassan Gouled puis lui cédant rapidement la place. L'indépendance sera proclamée le 27 juin 1977, par la bouche d'Hassan Gouled, premier président élu de la République de Djibouti (1977-1999)... où la France conserve toutefois ses légionnaires et sa base aérienne. L'indépendance n'est finalement pas une rupture totale en 1977.
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