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Libération
TRIBUNE

Pour commencer avec l’affaire Sarah Halimi

Affaire Sarah Halimidossier
Le meurtrier présumé de cette femme juive assassinée en avril à Paris a été mis en examen mercredi pour homicide involontaire, sans que le caractère antisémite ne soit retenu comme circonstance aggravante. Une instruction trop vite bouclée ?
Au bas de l’immeuble de Sarah Halimi, le 9 avril, à l’occasion d’une marche blanche organisée en sa mémoire. (Photo Plume Heters Tannenbaum. Hans Lucas)
par Patrick Klugman
publié le 14 juillet 2017 à 17h03

Devant l’ampleur et les circonstances cruelles du meurtre de Sarah Halimi, une plume énervée devrait entamer son propos par : «pour en finir avec…» Hélas, la justice en a décidé autrement. Nous aurions dû être soulagés par l’annonce de la mise en examen qui éloigne la perspective d’une issue médicale à cette affaire. Malheureusement la mesure annoncée exacerbe la plaie qu’elle devrait apaiser en ne retenant (si on se fie aux informations parues) aucune circonstance aggravante. Aucune : pas de préméditation, pas de séquestration suivie de mort, pas d’actes de torture, surtout pas d’antisémitisme ! Je n’affirme pas, surtout en n’ayant pas eu accès au dossier, que K.T. se soit rendu coupable d’aucune de ces infractions. Mais, la mise en examen fixe le cadre et les limites de l’instruction pour ce qui concerne un suspect. En somme, le magistrat instructeur estime en commençant son travail qu’il s’interdit a priori de considérer, jusqu’à l’hypothèse que le crime fut antisémite ! Tous les doutes sont permis, mais lui sans enquêter, interroger, confronter, sait déjà que ce n’était pas un meurtre antisémite. Voilà le scandale.

Confondre l’introduction et la conclusion (possible) d’une enquête, qui avait déjà souffert de quelques carences et pas des moindres, c’est dévoyer le sens de la justice. Et quand bien même, nous profanes et idiots que nous sommes, aurions-nous été victimes d’une illusion collective en estimant que le crime de celui qui connaissait sa victime, qui l’aurait déjà traitée de sale juive, qui l’aurait ciblée après avoir agressé une autre famille dans l’immeuble, ne peut s’expliquer autrement que par l’origine juive de Mme Halimi. Eh bien, même dans ce cas, une mise en examen de ce chef, aurait permis si une autre ou une meilleure explication au geste devait être trouvée, de motiver son abandon dans une ordonnance. Et cette ordonnance serait susceptible d’appel. Et cette explication, ce raisonnement, cette motivation qui peut être contestée permettrait à tout le moins de comprendre le point de vue du magistrat, de le discuter et donc de le combattre.

N’importe quel juriste ou justiciable pourrait comprendre que cette circonstance, après examen, soit finalement abandonnée s’il n’y avait pas lieu qu’elle soit retenue. Mais comment admettre qu’elle soit écartée ? Dans une telle affaire, ne pas considérer l’antisémitisme de la part d’une institution dont le but premier est la manifestation de la vérité, c’est se condamner, non pas à ne point la trouver mais à ne même pas la rechercher ! Le magistrat instructeur devrait examiner toutes les pistes et ne s’en interdire aucune. C’est son devoir et son honneur. Néanmoins, il faut savoir que ce qu’un juge peut faire, il peut le défaire. Ce qu’il n’a pas fait, il peut encore le faire ! Je termine donc par le commencement : que le suspect soit mis en examen pour meurtre aggravé du fait de l’antisémitisme et l’œuvre de justice pour Sarah Halimi, sans rien présumer de sa conclusion, pourra enfin commencer.