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Blog «Géographies en mouvement»

Romero géographe de la postmodernité

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Le réalisateur ​George A. Romero est décédé dimanche. En 1968, il inventait, avec La nuit des morts-vivants, le zombie made in USA. L'Occident allait désormais affronter l'horreur de masse à domicile, et plus dans de lointains ailleurs fantasmés.
DR
publié le 18 juillet 2017 à 9h12
(mis à jour le 1er juillet 2018 à 20h19)

Il faut se figurer, dans la demi-obscurité d'une cave, une fillette dégustant l'avant-bras de son papa, avant de massacrer sa maman à coups de truelle. On est en 1968, et l'un des plans les plus dérangeants de La nuit des morts vivants dit l'essentiel: les zombies, créatures mortes-vivantes affamées de chair humaine, s'invitent jusque dans le noyau des sociétés occidentales, la famille.

Voilà la grande nouveauté des créatures popularisées en 1968 par George Romero et son coscénariste, John Russo. Il va désormais falloir s’habituer à la présence d’une altérité radicale au cœur de nos sociétés.

Les opus suivants enfoncent le clou. Le plus connu, Zombie, s'attaque en 1978 aux mythes de l'Amérique: l'intégration des minorités, la consommation, la famille, tout y passe.

S. William Hinzman in Night of the Living Dead (1968). DR

Il y avait bien eu quelques frémissements avant Romero/Russo, comme Je suis une légende, en 1964. Vincent Price, seul survivant d'une mystérieuse épidémie, y affrontait des hordes d'humains transformés en vampires bien décidés à faire la peau au «dernier homme». L'Humanité telle qu'on la connaît semblait en mauvaise posture.

Mais, en dehors de cette exception et quelques autres, le zombie pré-Romero possède une caractéristique fondamentale: il est loin. Et irréductiblement différent de «nous». Tenu à distance dans les tréfonds d’îles caribéennes, Haïti en tête, le zombie des années 1930 et 1940 est une créature exotique presque inoffensive. Il provoque au moins autant de fascination et d’excitation que de peur. Inscrit dans l’idéologie coloniale, il rappelle que l’habitant des Caraïbes vit encore dans l’obscurité des temps pré-modernes.

Le zombie romerien vient au contraire pulvériser l’imaginaire collectif hérité de la Modernité. Celui-ci percevait l’État-nation comme un espace continu, bien délimité et homogène politiquement et culturellement. Le 20e siècle a été l’occasion d’une lente prise de conscience des fractures diverses qui, en réalité, traversent les sociétés occidentales et leurs territoires. Et de la porosité croissante des limites qui les circonscrivent.

Avec son monstre irrationnel évoluant dans les espaces les plus familiers, Romero rend compte de cette fragilité des identités collectives et de leur inscription spatiale, soit l’un des aspects de la postmodernité.

Il raconte un Occident consacrant son énergie à (re)constituer des limites pour se préserver de l’Autre, mais qui doit se rendre à l’évidence: l’altérité n’en finit pas de ressurgir en son sein.

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