Pour faire apparaître la réalité, les géographes jouent avec les cartes comme on joue avec de la pâte à modeler. L'unité de compte qui détermine la forme du paysage n'est plus le kilomètre, mais le pourcentage d'électeurs En marche, le nombre de médecins sur un territoire ou le PIB par habitant. L'Hexagone se déforme alors en fonction de données triturées pour livrer son vrai visage. Dans Atlas politique de la France, Jacques Lévy, géographe, professeur à l'Ecole polytechnique de Lausanne, ausculte ainsi un pays en crise entre le traité de Maastricht, en 1992, et l'élection d'Emmanuel Macron, en mai.
Tout bouge, tout change, mais dans quel sens, dans quelle direction ? En 70 cartes et une centaine de pages, il tente de saisir l'état politique, géographique ou sociologique d'un pays dans lequel «les révolutions silencieuses de l'espace français font irruption sur la scène politique».
Alors qu’en 2014 la très grande majorité de la France était pro-européenne, entièrement verte avec un peu de rouge attribué aux eurosceptiques dans le Nord, trois ans plus tard les cartes nous révèlent que la tendance s’est inversée. Le vote antieuropéen a gagné du terrain lors de la dernière présidentielle. Le vert des europhiles résiste en Ile-de-France mais nulle part ailleurs. On est passé du «tout pour» au «tout contre».
Plus généralement l'Atlas politique de la France, peint une mosaïque de formes et de couleurs dans laquelle Paris et sa région apparaissent comme un monstre repoussant les autres régions par anamorphose. Comme une immense planète entourée de satellites : Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse, Bordeaux, Nantes et Rennes. L'omniprésence francilienne se lit sur toutes les cartes. Dans tous les domaines, la santé, l'éducation ou l'économie, Paris domine.
En politique, les dernières élections ont fait bouger les lignes au sens propre. On voit les rangs des électeurs En marche enfler pendant l’entre-deux-tours et le divorce entre une France de droite et une de gauche se dessiner. Au second tour, la carte se met aux couleurs de la France entre le bleu Macron, le blanc abstention et le rouge curieusement dévolu à Marine Le Pen. Le bleu Macron dans les villes, l’Ouest et l’Est, le rouge Le Pen dans le Nord et le Sud-Est.
Si les périurbains forment des filaments aux nuances de rouge contrôlés pas l'extrême droite sur tout le territoire, les citadins s'organisent en blocs électoraux favorables à la «start-up nation». Bleu des villes contre rouge des champs. Et puis il y a ce qu'on ne voit plus, la gauche socialiste ou communiste disparue du paysage électoral et des cartes de l'ouvrage. «On pourrait lire le résultat de l'élection présidentielle de 2017 comme une sorte de révolte, menée au nom de l'intérêt public, de ceux qui produisent contre ceux qui reçoivent sans produire», conclut le géographe.
Parfois, les cartes remettent en cause les idées reçues. «L'entre-soi des riches est aussi appauvrissant que celui des classes populaires», note Jacques Lévy, renvoyant l'idée de ghetto. Et non, les grandes villes ne concentrent pas forcément les riches, mais sont bien les endroits où la mixité sociale est la plus forte.
En 70 cartes, la France change de visage, de couleur, et là, ça se voit.