Le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social est actuellement en lecture au Sénat. Pour l'heure, seule la réforme de l'articulation entre les accords de branche et d'entreprise est abordée avec quelques détails. Disons-le d'emblée : son principe, qui consacre la négociation au niveau de la branche comme instance de régulation de la concurrence, est erroné. Pour espérer une amélioration sur le front de l'emploi, les négociations doivent se dérouler au niveau de l'entreprise, qui a besoin de plus de marge de manœuvre pour s'adapter à un environnement en perpétuelle évolution. Cette décentralisation de la négociation explique, en grande partie, les bonnes performances de l'Allemagne en matière d'emploi. Les conventions de branche facilitent la coordination des acteurs, mais ils ne sont pas contraints d'y adhérer.
Le projet de loi n'a pas choisi cette orientation. Le premier article, qui dispose que «la branche conserve un rôle essentiel pour réguler les conditions de concurrence et définir des garanties économiques et sociales», privilégie clairement l'orientation opposée. Dans chaque branche, les organisations syndicales, patronales et les entreprises les plus importantes - les insiders - devraient donc continuer à définir les règles de la concurrence. Or, les insiders ont tout intérêt à inclure dans les conventions collectives des clauses trop coûteuses pour des entrants potentiels (sur les grilles salariales ou les indemnités). Et ils ne s'en privent pas. La concurrence doit être régulée par des autorités indépendantes dont l'objectif est l'intérêt général, et non celui des acteurs en place qui érigent des barrières à l'entrée défavorables à l'innovation et à la création d'emplois.
L'objectif de décentraliser la négociation à l'échelon de l'entreprise, annoncé dans le programme d'Emmanuel Macron, visait pourtant à supprimer ces barrières. L'affirmation du rôle privilégié de la branche comme régulateur de la concurrence lui tourne le dos. Plus inquiétant, le gouvernement a fait savoir qu'un accord d'entreprise ne pourra toujours pas déroger aux accords de branche dans les domaines concernant les rémunérations minimales, les classifications des métiers, la mutualisation des fonds de prévoyance, la formation professionnelle et l'égalité hommes-femmes. Le gouvernement a ajouté à cette liste le financement du paritarisme et «la gestion et la qualité de l'emploi». La négociation d'entreprise ressemble de plus en plus à une peau de chagrin, d'autant que ce sont les délégués syndicaux désignés par les instances de la branche qui y participent ! Rien ne devrait donc réellement changer sur ce front. Les autres points de ce projet, en particulier ceux portant sur la réforme du contrat de travail, restent très évasifs et laissent ouvertes toutes les possibilités. En l'état, on ne peut exclure que le gouvernement s'apprête à faire une réforme qui ressemblera à s'y méprendre à celles qui défilent depuis vingt ans : de subtils exercices d'équilibriste dont bénéficient les partenaires sociaux aux dépens des chômeurs et des jeunes qui s'apprêtent à entrer sur le marché du travail.
Il n’est pas trop tard pour redresser la barre. Le gouvernement a encore tout loisir pour que les ordonnances réaffirment le rôle central de la négociation d’entreprise et diminuent fortement le rôle «régulateur» de la branche. A défaut, nous assisterons à une énième réforme du marché du travail sans effet significatif sur le chômage.