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Blog «Géographies en mouvement»

Locarno Festival (8): Traces d'un meurtre raciste en Alabama ('Did You Wonder Who Fired The Gun?')

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En 1946, dans une petite ville d'Alabama, le notoirement raciste S.E. Branch abat dans son épicerie un Afro-américain. Soixante ans après, l'arrière-petit-fils du meurtrier enquête sur ce crime impuni, reliant histoires personnelle et nationale dans une géographie de l'oubli et de l'impunité.
DR
publié le 9 août 2017 à 20h04
(mis à jour le 6 octobre 2019 à 13h47)

Dans la bourgade de Dothan, les archives sont muettes. On ne trouve presque plus de traces du meurtre de Bill Spann il y a soixante ans. Surtout, impossible de comprendre comment l’accusation de meurtre avec préméditation a pu s’évaporer, comment le meurtrier s’en est tiré sans procès.

Cet évanouissement des traces sert de fil conducteur au film de Travis Wilkerson, dont l'enquête semble ne devoir aboutir qu'à des impasses. Même la tombe de la victime est anonyme, perdue dans un cimetière pour Afro-américains à quelques dizaines de kilomètres de Dothan. Passant en voiture devant Attalla, le cinéaste ne trouvera pas non plus l'ombre d'une plaque commémorant William Lewis Moore, militant blanc antiségrégationniste abattu dans les environs en 1963.

Paradoxe dans une région où des associations de suprémacistes blancs s’accrochent à des pans de l’histoire en rejouant des scènes de la Guerre de Sécession, on efface parallèlement les traces des meurtres et lynchages racistes. Rien dans le paysage ne doit témoigner de ces éclats de violence.

Et tant qu’à faire, on réduit les curieux et les bavards au silence. Filatures, insultes, menaces, Wilkerson a droit à tout durant son périple, témoin d’une impunité qui persiste dans quelques recoins du pays.

Les États-Unis se sont construits sur l’idée d’un progrès d’est en ouest de la civilisation. Ce processus de conquête du territoire par les institutions, justice en tête, sert de moteur aux westerns et à leur mythologie. Mais force est de constater que, loin des balbutiements du 19e siècle, des lieux échappent encore à l’État de droit, surtout quand il s’agit de la violence raciste.

A écouter:

- la chanson de Phil Ochs en hommage à William Moore, à laquelle le film de Wilkerson doit son titre;

- le morceau de Janelle Monae qui rythme une partie du film.