La place des organisations syndicales dans l’entreprise en France reste immuable: à l’écart des choix stratégiques. On est loin de la cogestion à l’allemande ou du dialogue social pratiqué dans les pays nordiques. Quelle place veut-on donner à la démocratie dans la sphère de l’entreprise ? Question cruciale devenue un impensé. La direction représente les intérêts des actionnaires seuls propriétaires, et le droit social doit se plier à leurs intérêts et aux exigences du marché. Nous assistons ainsi à un abandon de la logique proclamée par les traités européens qui insistent sur le fait que l’Union européenne est un espace d’harmonisation sociale. Les ordonnances Pénicaud consacrent le dumping social qui devient la règle du jeu dans l’Hexagone et à l’intérieur même d’une branche professionnelle. La France emboîte-t-elle ainsi le pas à l’Allemagne, à l’Italie ou à l’Espagne consacrant un basculement général en Europe ? Réponses avec les éclairages de Dominique Méda, Christophe Vigneau et Thomas Breda.
«L’entreprise, monarchie de droit social», par Dominique Méda
La question du partage du pouvoir entre les actionnaires et les salariés ne semble pas d’actualité. La nouvelle loi travail conforte le PDG comme prince omnipotent face aux élus du personnel ou aux représentants des syndicats.
En 1910, au moment des débats entourant la naissance du premier code du travail, un professeur d'économie et de législation industrielle, Adéodat Boissard, écrivait : «L'évolution politique a devancé l'évolution économique dans nos sociétés modernes, en ce sens que le troisième système de répartition économique : le régime associationniste, n'a encore été pratiqué que sur une très petite échelle, à titre d'expériences très localisées, tandis que le principe démocratique paraît informer de plus en plus les constitutions politiques des Etats contemporains. Ce qui est certain, c'est que nous sommes, actuellement, du point de vue économique, en régime monarchique tendant vers le constitutionnalisme.» (1)
Notre auteur nommait également ce dernier «régime capitaliste» ou «régime de partage conventionnel inégal» pour souligner que, dans cette configuration, certains producteurs se réservaient la totalité des bénéfices de la production. Dans son esprit, le progrès consistait clairement à passer au régime de partage proportionnel ou associationniste, celui dans lequel est réalisé «le partage absolument complet et aussi proportionnel que possible à la part prise par chacun à la production de tous les résultats de cette production».
Plus d'un siècle plus tard, contrairement aux espoirs d'Adéodat Boissard, nous nous trouvons toujours, selon sa catégorisation, en régime monarchique. Mais le plus curieux est que cette situation ne fait plus débat et que depuis au moins une bonne trentaine d'années la question de la démocratie dans l'entreprise ne constitue plus un élément central ni du débat d'idées ni des revendications politiques ou syndicales. Lire l'article dans son intégralité.
«La législation salariale devient un instrument de concurrence», par Christophe Vigneau
A lire les traités européens, l’Union européenne devait être un espace d’harmonisation sociale. La France, avec les ordonnances du 31 août, accepte la généralisation du dumping social chez elle et en Europe.
Les cinq projets d’ordonnances présentés par le gouvernement le 31 août traduisent une conception nouvelle du droit du travail contenue déjà en germe dans les lois Macron de 2015 et El Khomri de 2016. A cet égard, cette réforme exprime la volonté du président de la République de réaliser ce qu’il n’avait pas pu obtenir en qualité de ministre de l’Economie en raison de l’opposition des organisations syndicales.
Ce nouveau modèle fait du droit du travail une source centrale de la concurrence entre entreprises et donc entre salariés. Historiquement, le droit du travail français a choisi, après la Seconde Guerre mondiale, de conférer un rôle prépondérant à la convention collective de branche dans la réglementation des conditions de travail et tout particulièrement de la rémunération. L'idée était d'empêcher les entreprises de se livrer sur le territoire national et dans une même branche à une concurrence par l'abaissement de la rémunération des salariés. Parfois exclue, la négociation collective d'entreprise en matière de rémunération était cantonnée à l'amélioration des dispositions prévues au niveau de la branche. Lire l'intégralité de l'article.
«L’entreprise sans syndicats n’est pas pure et parfaite, au contraire», par Thomas Breda
Les économistes intègrent dans leur modèle l’apport des représentants des salariés dans le bon fonctionnement des PME et des grands groupes. On se trompe en pensant qu’il est préférable de s’en passer.
Deux questions centrales structurent la vie des entreprises : «Comment produire?» «Comment partager les fruits de la production ?» Sur la première question, la pensée économique dominante est que la maximisation du profit va de pair avec l'efficacité économique et bénéficie à tous. Cette vision est contestée par certains théoriciens, et non des moindres. Jean Tirole, Prix Nobel d'économie, défend dans un article en 2001 qu'il serait préférable d'inclure l'ensemble des parties prenantes concernées par la production de l'entreprise dans sa prise de décision : salariés, consommateurs, collectivités locales, riverains, etc. En 2015, un autre article publié dans la plus prestigieuse revue d'économie valide cette idée à partir d'un modèle mathématique, et surtout propose une méthode pour le faire. Lire l'intégralité de l'article.