L’irruption d’En marche sur la scène politique française constitue un fait majeur dont le seul précédent historique remonte à la création de l’Union pour la Nouvelle République, consécutive au retour de De Gaulle en 1958.
Mais désormais, nous entrons dans une phase délicate où En marche doit trouver sa place dans le dispositif politique mis en place par Emmanuel Macron. Une phase où le mouvement doit se doter d'une armature idéologique sans laquelle il aura du mal à assumer les deux fonctions essentielles attendues d'un parti sous la Ve République : celle d'un glaive et celle d'un bouclier.
D’un glaive pour avancer, inventer, innover, anticiper et prévenir l’enlisement politique qui guette toujours une force au pouvoir très dominante. D’un bouclier ensuite pour protéger le Président et ses choix face à des opposants, certes, aujourd’hui affaiblis, mais dont il ne faut sous-estimer ni la capacité de réveil ou de nuisance ni la fonction d’alerte indispensable en démocratie.
On a beaucoup raillé les propos d’Emmanuel Macron lorsqu’il indiqua que sa philosophie politique était à la fois de gauche et de droite. Pourtant, cette définition, préférable au contestable ni droite ni gauche initial, fait pleinement sens et se doit d’être appropriée par le mouvement. En effet, dire que l’on est à la fois de droite et de gauche revient à admettre et non nier l’existence de deux grands courants idéologiques que sont en gros le libéralisme et la social-démocratie, tout en considérant que la complexité du monde oblige à les transcender pour aller vers une nouvelle synthèse politique durable à laquelle aspirent la plupart des peuples d’Europe. On a beaucoup raillé la triangulation politique comme un artifice. C’est pourtant la voie qu’il faut choisir et qu’il convient désormais de formaliser dans un document politique. Un document qui devrait répondre à trois questions : comment produire plus et surtout mieux dans un monde plus compétitif, plus numérisé et contraint par la transition énergétique ; comment redistribuer mieux en agissant en amont et plus simplement en compensant en aval les perdants, moderniser les vecteurs capables de créer de la confiance sociale et de protéger les Français autrement que par l’accroissement de la dépense publique.
Cette réflexion est absolument essentielle. Née dans un monde où l’Occident dominait tout, la gauche a toujours pensé que la création de richesse allait de soi et que la seule question qui importait était celle de la redistribution. Un schéma de pensée frustre amplifié en France par la croyance absolue dans le seul pouvoir redistributif de l’Etat au travers de la hausse continue de l’impôt.
Ce réformisme beaucoup plus assumé et plus volontariste, qui rompt indéniablement avec une certaine gauche, n’implique pas pour autant l’adhésion à un projet néolibéral qui porte depuis maintenant plus de dix ans de lourdes responsabilités dans la prépondérance excessive de la finance dans l’économie et dans l’accroissement des inégalités. Une réalité face à laquelle la droite française n’a, au fond, à proposer que des réponses socialement punitives.
Mais tous ceux qui répètent paresseusement que le projet d’Emmanuel Macron n’est qu’une pâle copie du projet néolibéral proposé par Bruxelles se trompent profondément. Son projet est d’abord et avant tout un projet national visant à libérer les entraves à la créativité de ses citoyens grâce et non contre l’Etat. La France n’est ni la Grande-Bretagne libérale ni l’Allemagne fédérale. Observons la loi travail. Son objectif est bien évidemment de faciliter le dialogue social dans les entreprises tout particulièrement dans les petites qui se trouvent aujourd’hui asphyxiées. Mais si ce projet a réussi, c’est parce qu’il est parvenu à réunir deux éléments essentiels : la légitimité du projet conféré par le programme présidentiel et la détermination du gouvernement à s’en tenir à une ligne de conduite et à l’assumer jusqu’au bout. Certes, ce nouveau modèle de négociation nous éloignera très certainement du modèle allemand de cogestion. Mais chaque nation a besoin de trouver sa propre équation pour réussir dans la mondialisation. En France, elle passe en partie par l’Etat. C’est fondamentalement le sens du projet Macron.
Ce qui vaut pour la loi travail vaudra pour les trois grandes réformes qui se préparent sur l’assurance chômage, la formation et le logement. Sur ces trois enjeux absolument essentiels, c’est encore l’Etat qui reprendra la main. Même la réforme des aides personnalisées au logement (APL) s’inscrit dans cette perspective puisqu’elle vise, au fond, à émanciper l’Etat d’une logique de guichet pour en faire un stratège orientant la politique du logement.
L’Etat en France exerce une fonction identitaire considérable unique en Europe. C’est la raison pour laquelle sa réhabilitation identitaire et stratégique est au cœur du projet d’Emmanuel Macron. Non pour étatiser la société mais pour la libérer. C’est cela qu’En marche doit mettre en avant.