Questions à Ulrich
Le Vergor, auteur qui s'intéresse aux Syro-Libanais en Afrique
de l'ouest.
A quand remonte les premières
implantations des Syro-libanais en Afrique de l’Ouest ?
Les
premiers Libanais appelés également Syro-libanais sont arrivés à la fin des
années 1880 au Sénégal. Et se sont ensuite dispersés au cours des années 1890
en Guinée, Sierra Leone, Soudan, Ghana, puis dans les années 1900 en Côte
d’Ivoire, Nigeria, Niger, Haute-Volta, etc.
Les autorités coloniales française et anglaise ont été très tôt favorables et ont
même encouragé cette immigration. Les Libanais étaient alors réputés pour avoir
« un sens aigu » du commerce de détail et représentaient des
intermédiaires parfaits entre Africains et colons Européens.
Le début de l’immigration libanaise en Afrique de l’Ouest a été la conséquence
de deux principaux facteurs :
-
Le
premier est la précarité du niveau de vie au Liban qui poussait nombre de
paysans, de désœuvrés, et d'analphabètes originaires en majorité des régions du
Sud (moins développées que le Nord) vers l'exil.
-
Le
second est l'impôt par capitation (imposé surtout aux chrétiens) et le service
militaire obligatoire mis en place dès 1905 au sein de l'empire Ottoman.
Selon
Fouad KHURI les lieux d’implantation des Libanais suivrait la répartition
suivante bien que non-exhaustive :
Les Libanais
originaires de Tyr (Sud-Liban) se
sont installés à Dakar.
Les Libanais originaires de Beit Chebab
près de Beyrouth (Ouest Liban) se
sont installés à Bamako (Mali).
Les Libanais originaires de Tripoli
(Nord Liban) se sont installés à Accra
(Ghana).
Les Libanais originaires de Beino dans
la région de l’AKKAR (Nord Liban) se sont installés à Ouagadougou (Haute-Volta) et Bouaké (Côte d’ Ivoire).
Les Libanais originaires de Mizyara près
de Zghorta (Nord Liban) se sont
installés à Lagos (Nigeria).
Quel rôle
politique ont-ils joué pendant la période de lutte pour les indépendances ?
Au cours des années
1940-1950, nombre de Libanais d’AOF demandèrent leurs
admissions au Rassemblement Démocratique Africain
(parti à l’origine des indépendances des colonies d’AOF) ce qui cimenta la
méfiance des autorités coloniales (celles-ci croyaient que le RDA était piloté
par Moscou). En réalité, les adhésions des Libanais étaient motivées par
l’intérêt de se distancer du régime colonial dont la fin semblait inéluctable.
Il fut alors reproché
aux Libano-syriens de soutenir discrètement les mouvements nationalistes qui
agitèrent le monde arabe comme le FLN en Algérie et d’être des propagandistes
du Nassérisme en AOF après la nationalisation du canal de Suez en 1956.
Les autorités coloniales redoutaient une extension de l'idéologie panislamique
et anticolonialiste, dans les colonies d'AOF, à travers les journaux publiés en
langue arabe comme Al Manar (le Phare); Al Alam (La
Douleur).
L’engagement en
politique des Libanais semblent avoir été plus prononcé dans certaines colonies
comme le Sénégal, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Nigéria. Ces colonies possédaient
les communautés les plus importantes numériquement mais aussi une population
plus instruite et parfaitement au courant des bouleversements politiques au
cours de ces années 1950 et 1960.
A titre d’exemple, on peut évoquer certains noms comme Antoine TABET, commerçant né au Sénégal, un des
principaux financiers des campagnes électorales de L.S. SENGHOR.
Ou encore Salim ACCAR, militant
au sein du RDA qui devint ministre de la santé de Guinée sous Sékou Touré (1958-1962). Peut-on parler d’un certain degré
d’acculturation de ces Libanais ?
On
peut voir que la communauté libanaise d’Afrique de l’Ouest est bien loin d’être
restée immobile et inactive sur les plans sociaux, économiques et politiques.
Les Libanais ont montré qu’ils ne sont pas seulement des commerçants étrangers
mais qu’ils ont, pour la plupart, bel et bien accepté les différents pays
africains comme une nouvelle patrie. C’est ce qui explique que certains d’entre
eux se sont engagés politiquement au sein des partis africains même après les
indépendances.
A titre d'exemple la communauté libano-syrienne de Côte d'Ivoire eut
l'initiative en faveur d'un rapprochement politique et sociale entre Ivoiriens
et Libanais à travers l'ULCI (Union Libanaise de Côte d'Ivoire) fondée
en 1967. Cette association prônait la mixité entre Libanais et Ivoiriens à
travers des évènements sportifs et culturelles ou des dons.
Toutefois, il
serait faux de croire que l’intégration des Syro-libanais s’est déroulée de
manière homogène dans toute l’Afrique de l’Ouest. Dans certains pays comme la
Guinée, la désagrégation de
l’économie du pays trouve un bouc émissaire dans la communauté syro-libanaise
et est relayée par les officiels du Parti au pouvoir. Le consul du Liban estimait que plus de la moitié des Libanais
qui résidaient dans le pays en 1958 l’avaient quitté en 1968.
La politisation des Libanais a bien sûr un enjeu certain pour leur
propre avenir en Afrique de l’Ouest, et dans ce sens-là, la conciliation des
élites africaines a été une stratégie capitale pour que cette communauté
continue de prospérer. Toutefois, cette politisation a aussi été le fruit de
multiples courants issus des mouvements anticoloniaux comme du Panarabisme
et du Nassérisme. Tous ces mouvements ont influé sur l’opinion libanaise et sa
vision de la société coloniale dans laquelle ils représentaient un maillon.
KHURI F. (octobre 1965). « Kinship emigration and trade partnership among the lebanese in West Africa ». Pp 385-395.
EN POINT DE MIRE (journal).Liban Diaspora 2/2
(22/01/2014).
L'Orient le jour, quotidien libanais, 10
mars 2014.
RIVIERE Claude, Les mécanismes de constitution d'une bourgeoisie
commerçante en République de Guinée. In: Cahiers d'études africaines. Vol. 11
N°43. 1971. pp. 378-399.