Jugé illégal par la Cour constitutionnelle et interdit par le gouvernement espagnol, le référendum d’autodétermination n’en marque pas moins une nouvelle étape dans le processus d’indépendance de la Catalogne. Si la dynamique politique s’avère plus forte que les prescriptions juridiques, l’impasse n’est pas loin. Une grève générale a été décrétée pour la journée de mardi.
Face à face entre manifestants favorables à l’indépendances de la Catalogne et les forces de l’ordre. Pau Barrena/AFP
Le président catalan Carles Puigdemont en appelle désormais à une médiation internationale. Une posture qui sonne comme un nouvelle provocation à l’égard d’un pouvoir central espagnol déjà affaibli : sa rigidité politique conjuguée au recours à la force pour empêcher le scrutin ne font que saper la légitimité de sa propre position, pourtant légalement fondée sur le plan constitutionnel interne. A défaut de pouvoir se fonder sur le droit espagnol, c’est sur le fondement du droit international des peuples à l’autodétermination que la cause catalane s’appuie.
Une nation, un Etat
La confrontation entre la Catalogne et l’État central s’inscrit dans une histoire longue, dont les derniers épisodes sont le produit d’une transition démocratique qui se veut post-franquiste. La Constitution espagnole de 1978 créé 17 « communautés autonomes », dont trois revêtent un caractère historique : la Galice, le Pays basque et la Catalogne. Cette dernière bénéficie d’un statut d’autonomie à partir de 1979. Mieux, un texte voté par les Parlements espagnol et catalan, puis adopté par référendum en Catalogne en 2006, reconnaît à la région la qualité de « nation ».
Toutefois, en 2010, le Tribunal constitutionnel espagnol – saisi par le Parti populaire (PP) actuellement au pouvoir – censure cette disposition et modifie les articles du Statut d’autonomie relatifs à la langue, à la justice et à la politique fiscale. De retour au pouvoir, le PP – et la rigidité qui le caractérise dans la gestion de la question catalane – s’est inscrit dans une logique de rapport de forces avec des indépendantistes autrefois ultra minoritaires, qui ont su mobiliser la population catalane dans un contexte de montée de la défiance à l’égard du pouvoir (politique et financier) central.
L’enjeu de l’existence et de la reconnaissance de la nation catalane est central dans le discours de légitimation de la revendication indépendantiste. Il est vrai que théoriquement, l’État est associé à un groupe humain, une nation : il est l’« État d’une nation », « de » et « pour » une nation (Brubaker, 1997). Que la naissance de l’État précède celle de la nation (en France) ou l’inverse (en Allemagne), le phénomène « national » est associé à la forme étatique. Peu importe si juridiquement et sociologiquement la formation d’un État ne suppose pas une nation.
Alors que le principe des nationalités a été au cœur de la dislocation des empires multiethniques (Autriche-Hongrie, Empire ottoman), il prend la forme tout au long du XXe siècle du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » face aux empires coloniaux européens (qui s’étendent en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie), invoqué par des mouvements de libération nationale qui se placent dans la lignée des déclarations d’indépendance des États-Unis en 1776, et de celles qui ont traversé l’Amérique latine au début du XIXᵉ siècle. Conséquence juridique du principe des nationalités, le droit à l’autodétermination consacré par la Charte des Nations-Unies a justifié la création des États nés à la suite des vagues successives de décolonisation. Utilisé comme fondement juridique du droit des peuples colonisés à l’indépendance, il a abouti à la multiplication des États nationaux. Or « l’autodétermination » des peuples/minorités, invoquée notamment au nom du « principe de nationalité », aboutit en règle générale à la revendication d’un « droit à l’État » signifiant un « droit à la sécession » contre un État existant. C’est cette perspective qui nourrit la méfiance de la communauté internationale envers l’idée de «droit à l’Etat» des nations autoproclamées.Certes, selon les termes de l’article 1er, §2 de la Charte des Nations Unies, l’ONU a notamment pour but de «
développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes
». Il n’empêche, les États et les organisations internationales sont en général rétifs à l’idée de consacrer un véritable « droit à l’État ». Une application effective systématique du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » serait synonyme de déstabilisation de l’ordre (inter)national. L’Europe n’échappe pas à cette règle : la légitimité des revendications autonomistes voire indépendantistes (en Catalogne, mais aussi en Flandre, en Corse, au Pays-Basque, etc.) est contestée par l’Union européenne comme par ses Etats membres. Une « contagion séparatiste » ouvrirait la voie à un risque de fragmentation d’un espace européen en quête d’intégration dans un contexte de reconfiguration de la géopolitique mondiale autour de grands pôles de puissance...
A défaut de créér un Etat catalan, la solution est peut-être dans une réforme constitutionnelle d’envergure de l’Etat espagnol en vue de muer en Etat fédéral plurinational.
Un Etat, une pluralité de nations
Si le principe des nationalités fonde le « droit à l’État », le lien entre État et nation qu’elle sous-tend ne correspond pas à une réalité universelle. Il existe une alternative théorique et empirique au modèle de l’État-nation : l’État multinational. Né historiquement dans le cadre d’empires (austro-hongrois, ottoman, etc.), l’État multinational (exemples du Canada, de la Suisse, de la Belgique ou encore de la Bosnie-Herzégovine) correspond à une société politique qui réunit plusieurs nations partageant le sentiment d’avoir un destin commun. Contrairement à l’État-nation, il « n’a pas pour projet de construire en fait et en droit une collectivité unifiée et homogène de citoyens égaux et indifférenciés, mais d’assurer la coexistence d’une pluralité de peuples » grâce à la gestion commune des affaires publiques et la gestion propre des affaires nationales (S. Pierré-Caps, 2014, p. 374).
Même si en pratique, la réalisation de l’État « plurinational » s’avère délicate, elle semble offrir un avenir commun à l’Espagne et à la Catalogne…
Béligh Nabli, L’État, Droit et politique, Armand Colin, Coll. U, 2017.