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Libération
TRIBUNE

La république des centres

L’histoire politique de la Ve République est celle d’une mise hors-jeu progressive des centres. Si Emmanuel Macron veut rompre avec cette fatalité, il doit instaurer un scrutin proportionnel.
Le gouvernement Philippe lors de son premier Conseil des ministres, le 18 mai à l'Elysée. (Photo François Mori. AFP)
publié le 15 octobre 2017 à 17h06
(mis à jour le 15 octobre 2017 à 17h46)

La Ve République a été faite pour empêcher toute possibilité de gouvernement par les centres. Pour le général de Gaulle, la déliquescence de l'Etat sous la IVe République a une cause simple : la conjonction des centres maintenant à l'écart du pouvoir à gauche les communistes à droite les gaullistes. Casser ce régime des partis où socialistes et démocrates-chrétiens gouvernent ensemble et qui produit immobilisme et irresponsabilité est l'objectif de la Constitution de 1958 parfaitement résumé par Michel Debré dans son discours du 27 août 1958 : «Parce qu'en France la stabilité gouvernementale ne peut venir de la loi électorale, il faut qu'elle résulte au moins en partie de la réglementation constitutionnelle, et voilà ce qui donne au projet de Constitution son explication décisive et sa justification historique.» Le Royaume-Uni est le modèle ; là, le paysage politique est clairement structuré autour de deux partis, l'un gouvernant, l'autre s'opposant. C'est pourquoi De Gaulle va d'abord imposer le scrutin majoritaire à deux tours, lequel force les partis à se regrouper en deux coalitions opposées pour espérer l'emporter au second tour ; c'est pourquoi aussi il va imposer l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel qui ne laisse au second tour que deux candidats en lice et donc favorise la bipolarisation. François Mitterrand va parfaitement intégrer cette logique. Il prend le PS en juin 1971 en imposant à ses élus de rompre toutes les alliances municipales avec les centristes et en défendant un regroupement de tous les partis de gauche - radicaux, communistes, socialistes - au sein d'une Union de la gauche partageant un programme commun de gouvernement.

De Gaulle réunit la droite, Mitterrand réunit la gauche, et l'un et l'autre s'accordent pour empêcher le retour des centres au pouvoir. Et l'histoire politique de la Ve République est celle d'une mise hors-jeu progressive des centres. Ce n'est pas dire pour autant que depuis 1958 la France a été gouvernée par la gauche ou par la droite. Si, en effet, la bipolarisation a réduit l'espace disponible pour un parti du centre, elle a obligé chacun des deux pôles à prendre en charge, ensemble ou alternativement, la politique du centre. Quitte à forcer le trait, au vu d'exemples récents, il serait même possible de soutenir que plus un pôle assume la politique du centre, plus il augmente ses chances de victoire, et, inversement, plus il la refuse, plus il reste à l'écart du pouvoir. Au national comme au local. La fonction centriste continuait donc d'exister, mais elle n'avait pas besoin d'un parti pour s'exprimer.

Emmanuel Macron ne vient donc pas de «nulle part» comme il est dit trop souvent. Le centriste Lecanuet fait 16 % à l’élection présidentielle de 1965, Poher 23 % à celle de 1969, Barre 17 % en 1988, Balladur 18 % en 1995 et Bayrou 18 % en 2007. Il y a donc toujours eu un électorat réfractaire à la division droite-gauche et des hommes politiques qui ont continué à porter la possibilité d’un gouvernement des centres. Chaban-Delmas en 1969 avec sa nouvelle société et son ouverture au centre gauche ; Jacques Delors en 1995 et, bien sûr, Michel Rocard.

Emmanuel Macron est de cette histoire. Mais lui a réussi là où ces hommes ont échoué ; il a cassé la bipolarisation droite-gauche et a imposé un gouvernement des centres. Avant lui, un centriste européen aurait pu bouleverser la logique bipolaire de la Ve République : Giscard d'Estaing, élu président en 1974, et prenant lui aussi des personnalités - Jean-Jacques Servan-Schreiber, Françoise Giroud - et des idées - le vote à 18 ans, le divorce par consentement mutuel, le droit à l'avortement - à la gauche pour rassembler «deux Français sur trois». Il a échoué parce qu'il a gardé l'instrument qui avait construit et qui conserve, malgré les turbulences, la bipolarisation droite-gauche : le scrutin majoritaire à deux tours. Et il a fini à droite avec le vote de la loi sécurité et liberté. Si Emmanuel Macron veut construire une République des centres, il doit retenir cette leçon et faire voter très vite le scrutin proportionnel qui libère les regroupements artificiels à droite comme à gauche, permet à chaque groupe d'être représenté conformément à son influence électorale et de construire une majorité sur des concordances politiques. Michel Debré a donc toujours raison. La véritable constitution d'une république est sa loi électorale ; celle de la République des centres est la représentation proportionnelle.