Un mythe structure le macronisme, et, plus largement, le discours néolibéral dont il n'est que l'avatar souriant : celui du mouvement. Le mouvement, décliné en ses multiples synonymes et métaphores, est censé permettre l'adaptation du pays aux exigences de la «vie liquide» théorisée par Zygmunt Bauman, ce monde incertain et instable où se dissolvent toutes les identités collectives au profit de trajectoires individuelles et mouvantes. La main-d'œuvre doit être liquide, flexible, adaptable à toute situation. Traduisez. Dans le contexte d'une mondialisation qui permet de jouer sur l'inégal développement des droits sociaux, il importe de rendre possible les délocalisations incessantes des productions et des services. Ainsi, les maîtres du monde peuvent jouer la géographie contre l'histoire en faisant un chantage continuel à la compétitivité. Leur mobilité à eux se joue dans les luxueuses classes affaires des avions. Il est clair que le travail d'un quasi esclave coûte moins cher que celui d'un(e) ouvrier(e) qui jouit de droits minimaux notamment grâce au code du travail, produit de cent cinquante années de luttes. D'où sa liquidation programmée, pudiquement rebaptisée «simplification», «allégement», «assouplissement». «Agilité», «flexibilité», «souplesse» sont autant de mots totem ressassés, de valeurs exaltant le dynamisme d'une société enfin moderne qui se serait mise au diapason de la mondialisation. Vous pensez que la loi travail XXL voulue par le gouvernement va faciliter les licenciements et accroître la précarité des salarié(e)s, soumis(e)s au CDI de projet ? Vous n'y êtes pas. Il s'agit de «libérer les énergies» et de permettre une fluidité plus grande sur le marché de l'emploi. Les droits sociaux, les statuts, les métiers doivent se fondre dans le tourbillon de la précarité. La rhétorique apologétique tourne à plein, hélas, trop souvent relayée par des médias aux ordres, et vecteurs paresseux des idées conformes aux intérêts dominants. Malheur à qui fait remarquer les coûts humains, sociaux, écologiques de cette liquidation générale. Il sera tenu pour réactionnaire, partisan d'un monde figé. Toute demande de stabilité, tout espoir de pérennité, tout attachement à ce qui est acquis ou prévisible est considéré comme une marque insupportable de conservatisme et d'archaïsme. Malheur à qui dénonce l'externalisation de ces coûts, mis à la charge de la puissance publique dont pourtant on dénonce rituellement les dépenses. Malheur à qui remet en cause le modèle allemand sans cesse vanté, alors qu'il ne construit la compétitivité et l'embauche que sur la dévastation des droits sociaux, la précarisation des ouvriers et des employés, le creusement vertigineux des écarts de revenus. Triste exemplarité. L'internationalisme a bon dos. Sa version capitaliste mondialisée nous offre le spectacle d'un scandaleux paradoxe : la juxtaposition de l'opulence et de nouvelles formes de misère.
On nous annonce que, dans quelques mois, le Parlement devrait débattre de la loi «logement et mobilité», dont la mesure phare est la création d'un «bail mobilité» à destination des plus précaires. Ce bail plus court que les baux traditionnels, d'une durée de trois mois à un an, doit officiellement favoriser l'accès au logement des travailleur(se)s en intérim, stage ou CDD. Si ce principe de logement à durée déterminée (bientôt un «LDD ?») dynamisera certainement le marché de l'immobilier, ce sera au prix d'une insécurité plus grande pour les locataires précaires, mobiles à merci et moins protégé(e)s par la loi. Qu'est-ce donc que cette mobilité imposée aux plus fragiles, sinon une mobilisation générale sous les drapeaux du capitalisme financier ? L'agilité qu'on nous vante tant n'est possible qu'à celles et (surtout) ceux qui disposent du capital financier et culturel suffisant pour se couler dans la vie liquide. Il n'est pas difficile d'être agile, de sauter d'avions en avions et d'opportunités en occasions quand on sait qu'on ne risque jamais la chute. Pour les autres, c'est la marche forcée ! Nous voici toutes et tous sommé(e)s d'abandonner les structures et les cadres qui confèrent à nos vies un peu de lisibilité et d'intelligibilité. Les statuts et la stabilité qu'il s'agit de liquider sont pourtant, comme le rappelle l'étymologie de ces mots (latin stare : «se tenir droit, ferme»), ce qui nous permet, individuellement et collectivement, de nous tenir debout. L'agilité requise s'apparente plutôt à un déséquilibre général des rapports sociaux. La loi travail, en inversant la hiérarchie des normes et en faisant primer l'accord d'entreprise sur la loi commune, en est la criante démonstration. La future loi logement et mobilité est elle aussi symptomatique de l'idéologie à l'œuvre. Elle conduit les plus précaires à déménager sans cesse, elle empêche un emménagement réel et durable. Elle retire un peu plus aux moins favorisé(e)s la possibilité de se ménager une place dans le monde. Et cette place commence par un lieu où vivre, un lieu à habiter. La loi travail et mobilité reproduit, à l'échelle des individus et d'une société, le grand déménagement du monde orchestré par la mondialisation néolibérale, ses délocalisations et ses réfugiés climatiques. Il est donc d'autant plus insupportable d'entendre le président de la République accuser les salariés de GM&S de «foutre le bordel» alors qu'ils protestent justement contre ceux qui orchestrent le désordre en liquidant un site de production rentable et le prolétariat qui le fait vivre. Derrière les incitations bienveillantes du macronisme, la mobilité est, en réalité, devenue une injonction autoritaire, qui se conjugue sans mal avec le régime des ordonnances et la transcription de l'état d'urgence dans le droit commun. Face à cette mobilisation du pays tout entier, soyons des objecteurs de conscience à la liquéfaction de nos vies.