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Chronique «Philosophiques»

De l’IVG à la PMA : pas de réforme sans conflit

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Sur les sujets sociétaux, la discussion reste ouverte et toujours à reprendre. Les résistances ne s’abolissent pas par la magie d’un dénouement législatif.
Lors d'une manifestation à Paris en 2015. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 19 octobre 2017 à 18h36
(mis à jour le 19 octobre 2017 à 18h58)

S'adressant récemment à des responsables religieux de plusieurs confessions réunis à l'occasion d'un colloque organisé par la Fédération protestante de France (FPF), Emmanuel Macron n'a pas manqué d'aborder les questions dites «bioéthiques» : fin de vie et PMA. «La manière que j'aurai d'aborder ces débats ne sera en rien de vous dire que la politique a une prééminence sur vous et qu'une loi pourrait trancher ou fermer un débat qui n'est pas mûr», a-t-il dit. Ces mots appellent au moins deux remarques.

D’abord, dans un pays où la séparation du religieux et du politique est un des fondements de la vie civique, il est étrange que le garant des institutions puisse énoncer, même de cette façon indirecte, que la politique - entendre la décision politique - ne saurait avoir de prééminence sur les valeurs et les positions portées par les autorités religieuses. Nul ne contestera que ces convictions aient, comme d’autres, droit de cité. Mais dans notre régime politique, qui ne prête pas que l’on sache allégeance à quelque instance religieuse que ce soit, la sphère politique prévaut nécessairement sur la sphère «spirituelle».

Ensuite, notons une confusion : entre «trancher» un débat et le «fermer». Le propre d’une société pluraliste et démocratique est que si, oui, une décision politique issue d’un vote a pour effet à un moment donné de trancher un débat, cela ne signifie nullement qu’elle vienne le clore. Particulièrement s’agissant des évolutions touchant aux formes de vie, et des réformes sociétales auxquelles elles peuvent donner lieu. Car tel ou tel choix politique - mariage pour tous, IVG pour évoquer des débats que des lois ont tranchés - heurtera inévitablement les convictions d’une partie des citoyens, quand bien même ces libertés nouvelles offertes par la loi ne les contraignent aucunement à agir personnellement contre leur conscience.

La discussion reste ouverte, et toujours à reprendre, car les résistances à de telles transformations ne s’abolissent pas par la magie d’un dénouement législatif. Ajoutons que ces conquêtes obtenues de haute lutte sont sans cesse menacées par ceux qui veulent interdire à tous ce qu’ils s’interdisent (en principe) à eux-mêmes.

«Je ne souhaite pas que la société française se divise», indique aussi le Président dans ce discours ambigu et passablement œcuménique, où il dit attendre beaucoup «du dialogue entre les  religions comme du dialogue avec les différentes philosophies pour éclairer ce débat et le faire vivre».

Mais comme le rappelait aux «esprits angéliques» Simone Veil, qui en connaissait un bout sur ce chapitre, «les réformes de société s'effectuent toujours dans la douleur» : autrement dit, elles doivent passer outre les divisions, et assumer une conflictualité que nul «dialogue entre les religions»ou avec«les différentes philosophies» ne saurait prétendre apaiser - bien plutôt ces instances auraient-elles tendance à jeter de l'huile (spéculative) sur le feu.

Non que les philosophes, et pourquoi pas les religieux, n'aient rien à dire sur de telles questions. Mais leurs discours, trop souvent encombrés pas leurs croyances théoriques ou «spirituelles», jouissant de surcroît de l'autorité d'un statut a priori légitime, sont parfois de nature à obscurcir la controverse plutôt qu'à l'éclairer, tant ils font, en général, peu de cas de la réalité des expériences. Sur la question de la fin de vie, de la PMA ou de la GPA, cela est tristement flagrant. Et quant à l'IVG, qu'il serait imprudent de tenir pour un acquis définitif des femmes, le débat toujours prêt à renaître de ses cendres sera plus pertinemment éclairé par le subtil album de la dessinatrice Florence Cestac intitulé Des salopes et des anges (2011) que par les élucubrations que l'on peut trouver sur le très sérieux site Philosophie pour tous sous ce titre intimidant : «L'illégitimité de la pratique de l'avortement chez l'être humain démontrée suivant l'ordre géométrique» (par Gildas Richard).

Que sur les questions sociétales il y ait un différend, c'est donc indéniable. Il ne peut se réduire à la seule confrontation des opinions, ou à la joute purement théorique. Il ne relève pas non plus du simple «malentendu», selon le mot conciliant de Jean-Luc Mélenchon à propos de la Manif pour tous (interview à Famille chrétienne, février 2017). Au-delà du positionnement revendiqué des uns et des autres sur l'échiquier politique, c'est la validité des argumentations, et leurs présupposés, qu'il convient d'évaluer précisément. On pourrait alors s'apercevoir qu'un bien troublant fond moraliste et religieux infiltre nombre de discours à gauche, y compris, à leur corps défendant, chez des militants de la laïcité, comme on l'a vu avec les récentes positions de Charlie Hebdo résolument hostiles à l'ouverture de la PMA pour toutes les femmes.

Cette chronique est assurée en alternance par Sandra Laugier, Michaël Fœssel, SabineProkhoris et Frédéric Worms.